culture générale: l’énigme initiale
- Comment une remarquable compétence cérébrale comme celle-ci n’a pu finir par s’attirer que défiance et réprobation?
- Comment une capacité cognitive aussi fondamentalement individuelle a pu être confisquée par une certaine classe sociale ?… ce qui constitue peut-être le commencement d’une réponse à la première question.
- Pourquoi la culture générale ne parvient-elle pas à n’être… que ce qu’elle devrait être: un effet induit – non recherché – de la curiosité … chez des personnes disposant d’une bonne mémoire sémantique?
les deux cousins de la culture générale
le plus proche: la richesse du vocabulaire
À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer
l’ancrage élitiste de l’érudition
- Mais jusqu’à quand la chaîne qui produit d’autres niveaux de savoir sur elle-même peut-elle se dérouler sans se dénaturer? Ce qui fut lecture intégrale attentive, compréhension voire critique des sources, va devenir “résumé”, puis se dégrader encore jusqu’à ne plus être qu’un ensemble hétéroclite de références… puis de simples citations détachées de tout contexte… mais toujours parées de l’aura de leurs origines.
- Une controverse se terminant par une citation d’Hegel ne laissera à l’interlocuteur que deux possibilités: contester Hegel – ce qui est long – ou bien en rester là – option généralement retenue -. L’élitisme est ici patent: dans un milieu populaire, on ne clôt pas une controverse par une citation d’Hegel. La culture générale s’inscrit dans une “règle du jeu” sociale qui ne fonctionne que dans un cadre où elle est acceptée. Or elle n’est pas acceptée partout.
- Par ailleurs, alors que ce qui s’inspire de l’érudition se déploie en longs développements ennuyeux, la culture générale va s’exprimer par des traits acérés et brillants… soit deux façons de prendre le pouvoir dans une conversation… l’une par le fond, l’autre par la forme. Notre époque privilégie à l’évidence la seconde… d’où son statut d’outil privilégié d’une élite.
- Seul l’oral valide la mobilisation instantanée des références qui “authentifie” la culture générale. Celle-ci serait plus facilement simulée par l’écrit. Cette compétence clé de la mémoire sémantique n’est ainsi détectable que parmi ceux qui… savent parler… et qui sont autorisés à le faire… souvent.
la culture générale comme idéologie de l’élite
Les membres de l’élite disposent-ils tous d’une grande “plasticité synaptique”? Non, bien sûr. La culture générale fait partie de l’idée que l’on se fait de l’élite et surtout de l’idée que celle-ci se fait d’elle-même. Son rattachement à une classe sociale est en grande partie idéologique. Les membres des classes dominantes sont loin de tous disposer d’une grande culture générale… pas plus que d’une grande richesse de vocabulaire. À l’inverse, nombreux sont ceux qui dans les classes populaires possèdent une excellente culture générale, mais “qui ne compte pas”, car appliquée à des domaines (techniques, scientifiques, informatiques… voire sportives ou musicales…) “non agréés” par la classe dominante. Ce qui fait la culture générale de l’élite réside moins dans les synapses que dans l’agrément des domaines… qu’elle se réserve, par le biais des études… qui lui sont réservées.
vie et mort des “savoirs immobiles”
- Ces exigences imposent à la culture générale un certain niveau d’intemporalité. Dans son acception traditionnelle, elle reposait donc, par nécessité, sur un socle de “savoirs immobiles”… donc principalement historiques… et principalement orientés vers les lettres et les arts. En étaient exclues les disciplines vivantes relevant notamment des sciences et des techniques.
- Ces dernières se prêtent en outre assez mal à l’extraction simple d’une référence “courte” – principe sur lequel fonctionne la culture générale -. Le propos technique ou scientifique manipule des processus qui supposent une réelle compréhension, à l’inverse de l’extraction d’une phrase dans un développement littéraire ou philosophique, même complexe, qui sera susceptible de conserver un sens en elle-même. Dit autrement, il n’est pas nécessaire de comprendre Nietzsche pour le citer. Dans le domaine de la physique ou de la biochimie, c’est tout autre chose.
l’effet de halo et le futur de la culture générale
la culture générale comme modèle: le point dur de l’enseignement
Elle doit cette forme de survie à “l’avantageux inconvénient” de ne pas être finalisée. Solidement ancrés sur ce socle, des pans entiers de l’enseignement peuvent ainsi s’affranchir de toute problématique. N’importe quel propos, n’importe quelle source: tout est bon. Tout est supposé participer… à la culture générale de l’écolier, du lycéen, de l’étudiant… et ce principe a gagné l’ensemble des disciplines.
Mais si stérile que soit ce modèle se poserait sans lui “LA” question: quoi enseigner?
Concerné au premier chef par ce problème, un personnel comptant en France, en 2020, 1 162 850 membres répartis dans 61 500 écoles et établissements du second degré, auxquels s’ajoutent tous ceux qui, pour l’avoir suivi, ne sauront dispenser… qu’un enseignement de type “culture générale” ( voir “l’enseignement et la “vitesse normale” de l’évolution sociale”).
La façon dont les programmes d’enseignement pourraient s’affranchir des “savoirs immobiles” reste à inventer.
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