La futurologie classique se nourrit d’innovations et de pénétrations rapides. Le déclin s’appuie sur le passé, sur des évolutions globales et plutôt lentes.
L’idée de déclin s’est aujourd’hui installée dans les esprits. L’historien Arnold Toynbee verbalise cette intuition collective :
Quand une civilisation arrive à relever des défis, elle croît. Sinon elle décline.
C’est peu de dire que la nôtre a des défis à relever. C’est peu de dire qu’elle peine à le faire.
Le déclin exprime un mouvement global qui, une fois admis, prend des allures de fatalité, jusqu’à une fin présumée d’anéantissement. La problématique-reine pour qui le subit: “faire durer le présent le plus longtemps possible”. Le présent posé comme un idéal de futur: l’inverse d’une pensée de futurologue.
Le déclin correspondrait ainsi à une pensée pauvre, peu créative, peu stimulante, le terme lui-même disant “tout”. Il n’y aurait plus rien à chercher, plus rien à imaginer, plus rien à comprendre.
Peut-on trouver un intérêt à analyser ce déclin si son avenir apparaît à ce point sans mystère?
Penchons-nous là encore sur l’Histoire (voir ->) pour constater que la dynamique du déclin peut s’avérer beaucoup moins simple. Ainsi nombre d’anciennes civilisations (Égypte, Chine, Inde, Mésopotamie, Rome) admises comme étant en déclin auraient connu de multiples rebonds.
Si l’on admet que celle-ci mérite de l’être, comment dès lors aborder une éventuelle futurologie du déclin?
Tout d’abord, il faut remarquer que l’idée de déclin peut correspondre à deux attitudes d’analyse profondément différentes. Celles-ci se révèlent très clairement dans l’approche du déclin le plus typique qui soit: le vieillissement. Une approche globale le verra comme une perte progressive de l’ensemble des capacités dont le terme inévitable sera la mort. L’autre approche, plus systémique, va s’attacher à l’évolution des forces et des phénomènes qui vont conduire à la dégradation de l’ensemble. Celle-ci a été précisée dans un précédent billet “tendances & métamorphoses: le modèle du vieillissement”. Si une futurologie pertinente du déclin peut être proposée, il est clair que c’est sur la base de cette seconde approche.
Le principe central sera celui de “métamorphose”, le déclin n’y apparaissant que comme un simple jugement de valeur.
Un précédent billet s’est ainsi intéressé à “la métaphore de l’été indien”.
Il faut remarquer que les éléments en jeu dans les métamorphoses de l’été indien (la chlorophylle, le carotène, les anthocyanes… et le soleil) sont tous présents, depuis le début, et tout au long de la transformation. Ils interagissent. Le changement radical (ici les couleurs des paysages) ne découle pas de l’action d’une force de rupture particulière, mais d’une simple modification du poids relatif des forces existantes au sein du système.
Le concept d’allométrie reprend des principes du même ordre:
L’allométrie désigne la croissance à des vitesses variables des différentes parties d’un ensemble.
Ce que le déclin a de très particulier par rapport aux évolutions prises en compte dans la futurologie classique c’est sa relative lenteur… donc sa durée. Le déclin se conçoit à priori comme très progressif: ses racines comme ses effets peuvent être identifiables à distance du présent. Ceci implique que contrairement à la futurologie classique, l’environnement ne peut être considéré comme invariant sur la période. Cette longue durée autorise les métamorphoses intermédiaires ainsi que des possibilités de … rebonds.
Cette temporalité différente amène la prise en compte de phénomènes d’un autre ordre, qui ne sont d’ailleurs pas obligatoirement corrélés avec ceux auxquels s’intéresse la futurologie classique, au centre de laquelle trône notamment le progrès technologique.
Les thématiques du déclin apparaissent également très sensibles à la terminologie utilisée. Les déclins de l’empire américain, du capitalisme , de la mondialisation, des démocraties libérales constituent des notions qui se recoupent, mais qui orientent le focus initial dans des directions différentes, modifiant ainsi la hiérarchie des paramètres.
Une futurologie du déclin aura un caractère plus systémique et plus combinatoire.
Les données environnementales y joueront un rôle permanent, contrairement à la futurologie classique où, par exemple, les progrès de l’IA apparaissent autosuffisants dans les démarches de prévision.
Une autre futurologie se présente ainsi comme possible. En dehors de ceux qui viennent d’être évoqués, de nombreux déclins annoncés pourront faire l’objet d’analyses particulières, tels que celui de la classe moyenne, celui de la solidarité, celui des réseaux sociaux, celui de la lecture… et beaucoup d’autres encore.
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