s’autoformer en futurologie: le futur par l’image

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Les rapports de notre pensée du futur à l’image sont devenus complexes dans la mesure où notre avenir nous apparait de plus en plus lié à l’économie de l’invisible (données, IA, nanotechnologie, génétique… etc). L’humanoïde nous en offre une représentation déjà un peu désuète. Le catalogue des images nous évoquant le futur est, de ce fait, extrêmement réduit d’autant que celui-ci est l’objet de visions implicitement totalitaires: une prédiction ne semble mériter d’être formulée que dans la mesure où elle annonce un lendemain monolithique, sans échappatoire et sans nuance. Celui-ci est supposé découler de trois sources: la dégradation de l’environnement, les dérives technologiques, l’effondrement économique. Ce sont les références, directes ou par simples connotations, à ces causes qui vont donc faire que des images seront perçues comme appartenant ou non au catalogue de nos représentations du futur.
D’où l’idée d’évoquer des images qui, ayant en commun de “ne pas” être perçues comme appartenant à ce catalogue, nous poseraient deux types de questions:
  • pourquoi percevons-nous ces images comme “non-futurologiques”? … ce qui nous renseignerait sur notre façon de penser le futur
  • quels types de futurs pourraient s’avérer compatible avec elles?… ce qui nous permettrait d’approcher des futurs non pensés

Testons ce principe à partir de quelques exemples.


Et pour commencer, une image de saison.
Pourquoi cette image apparait-elle aussi profondément étrangère à notre représentation du futur?
Elle évoque la montagne, le froid, la nature vierge, l’absence de références technologiques et le plaisir individuel. Elle ne s’inscrit donc:
  • ni dans la référence implicite à l’urbain, qui imprègne notre pensée du futur et dont la montagne est exclue
  • ni dans celle de saturation démographique avec laquelle l’isolement n’apparait plus compatible
  • ni dans celle plus prégnante encore de réchauffement climatique
  • ni dans l’ascèse normalement attachée au totalitarisme quel qu’il soit: la pensée du futur exclu le plaisir … et “l’aventure individuelle”
  • ni dans la référence à de nouvelles technologies
Cette image semble exprimer tout ce que notre futur… ne sera pas.
Imaginons maintenant que cette photo puisse être prise dans une cinquantaine d’années. Quelles évolutions pourraient la rendre possible?
  • le réchauffement climatique aurait induit des phénomènes variables selon les régions et localement aberrants, ce qui est plausible
  • l’érosion de la classe moyenne aurait abouti à la radicalisation de l’inégalité: les plaisirs de l’altitude n’étant plus réservés qu’à quelques-uns
  • l’affaiblissement des services publics provoqué par l’érosion des recettes fiscales amènerait à une dégradation telle du système de transport que la montagne, devenue inaccessible, n’accueillerait plus que ceux qui y résident. Un plaisir comme celui-ci n’étant, pour eux, qu’une petite contrepartie aux rigueurs de leur vie quotidienne.

Ainsi, contre toute attente, cette image peut être considérée comme parfaitement compatible avec la pensée unique en futurologie. Ce qui révèle que notre pensée du futur manipule non seulement peu d’éléments, mais qu’elle n’intègre qu’une petite partie des représentations qui pourraient leur être associées.


Le tournevis est devenu le symbole de la désuétude technologique, alors même que des millions de personnes épuisent régulièrement leurs nerfs dans le montage de meubles Ikea, qui a silencieusement révolutionné l’univers de ce secteur fondamental pour notre quotidien, allouant à Ingvar Kamprad, son discret propriétaire, une des premières fortunes mondiales.
Pourtant notre esprit, conditionné par des visions de robots, se refuse à nous imaginer dans le futur en train d’utiliser un tournevis.
Nous sommes portés par l’idée que le progrès technologique qui conditionnera notre futur sera issu des sciences dures… et seulement de celles-ci, alors même que cela n’a pas été le cas… pour notre présent.
Second volet de la question: à quel futur pourrait être associé un rôle significatif du tournevis?

À l’évidence à un futur ou le mode opératoire d’Ikea se serait généralisé à la plupart des domaines, sur le modèle de la grande industrie ou les grands constructeurs de composants semblent progressivement prendre le pouvoir sur les ensembliers (Foxconn en informatique, Safran dans l’aéronautique…), dans la lignée de premières expériences avortées comme le projet de smartphone ARA de Google, et surtout du montage de PC sur mesure par les particuliers eux-mêmes. La vente de composants deviendrait mondiale, ce qui en ferait baisser les prix, et induirait un nouveau mode de consommation “active”. Ce principe intégrerait le souci écologique en permettant la mise en oeuvre des seuls composants jugés utiles (…ou finançables) par chaque utilisateur, ainsi que le remplacement des seules parties défectueuses ou obsolètes d’un ensemble. Les produits d’usages courants seraient construits à la manière d’un site internet… sous WordPress 🙂


Le feu n’a jamais été aussi présent et n’a jamais autant promis de l’être davantage
Chaque année, plus de 60 000 feux de forêt se déclarent en Europe. Dans le monde, les territoires touchés couvrent 350 millions d’hectares, six fois la superficie de la France. En trente ans, malgré des moyens accrus de lutte, les surfaces incendiées ont doublé et les grands feux autrefois exceptionnels se multiplient partout sur la planète.
Notre planète semble destinée à brûler. Pourtant le feu n’apparait pas dans l’album de nos représentations du futur. Comment l’expliquer?
  • Le feu incarne les limites de la prévision et du contrôle dont la futurologie se nourrit. La pensée unique de la futurologie est prête à admettre que le robot ou les manipulations génétiques échappent à l’homme, mais de façon quasi-rationnelle, par extrapolation, comme un cheval qu’on aurait volontairement mis au galop et qu’on ne serait plus capable d’arrêter. Ces dérives ne nous confrontent pas à une impuissance du même type que celle que nous imposent les forces naturelles ou… le feu. Notre pensée du futur serait donc altérée par… des blocages psychologiques.
  • Les réactions face aux événements dramatiques s’opèrent dans le cadre d’idéologies constituées et peu évolutives. Dans le cas des incendies de forêts, où le réchauffement climatique est manifestement en cause, les climatosceptiques regardent ailleurs et paradoxalement … les écologistes aussi, car lutter contre ce fléau supposerait un recours accru à des moyens techniques et à des travaux d’infrastructures auxquels ces derniers sont farouchement opposés, de quelque nature qu’ils puissent être.

On le savait, mais cet exemple le confirme: notre pensée du futur est fortement influencée par les débats et idéologies d’aujourd’hui.


Peut-on imaginer que les châteaux de la Loire aient disparu dans cinquante ans? Si ce n’est pas le cas, quel statut auront-ils?
  • Si leur statut actuel a peu évolué d’ici là, cela supposera un échec de la réalité virtuelle qui, selon la logique futurologique en vigueur, devrait amener une part croissante des 700 000 visiteurs annuels du château de Chambord à s’y promener virtuellement… comme dans la grotte Chauvet… mais depuis leur salon. À l’inverse, si la réalité virtuelle tient les promesses qu’on nous vend aujourd’hui, les coûts d’entretien de tels ensembles seront-ils encore justifiables auprès du contribuable? On le voit, cette image questionne le futur du tourisme, du patrimoine et des mondes virtuels.
  • Une redéfinition du statut des grands châteaux français est-elle imaginable? Pourraient-ils être livrés au secteur privé à l’instar de l’Hôtel-Dieu à Lyon? Pourraient-ils, par exemple, devenir les campus des grandes sociétés de demain, permettant à celles-ci de rendre quasi-captifs leurs employés à distance des villes (c’est déjà le cas pour certaines) tout en s’appropriant des espaces à haute valeur symbolique, pour ne pas dire… l’Histoire elle-même, ce qui a toujours été l’ultime tentation des puissants?
Cette image incarne l’intemporel… ce qui demeure. Elle n’est pas une image futurologique parce que notre pensée du futur ne se construit que sur ce qui change, ce qui constitue une lacune: tout ne change pas tout le temps et surtout pas selon le même rythme.

À partir du principe qui vient d’être esquissé, il est clair que chacun peut convoquer ses propres images et leur appliquer ses propres analyses. C’est en cela que l’on peut parler d’autoformation en futurologie.
On terminera ce rapide survol par un “défi intellectuel” qui pourrait consister à imaginer un futur lié à ces images …
… et à essayer de comprendre pourquoi… c’est aussi difficile.

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