Ce qu’il y a d’extrêmement paradoxal, c’est que “notre homme” correspond exactement ce qu’il était voué à devenir, alors même que les futurologues du passé ne l’ont jamais prédit comme tel. Depuis un demi-siècle, tout effort, toute dépense d’énergie, toute consommation de temps, ont été minutieusement traqués pour vendre de nouveaux produits ou de nouveaux services. Une évolution vers une consommation passive de toutes ces offres aurait dû apparaitre comme parfaitement logique et donner lieu, hier, à une vision de l’humain du futur telle que celle-ci. Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas?
Esquissons rapidement un scénario conforme à la pensée futurologique d’aujourd’hui: quelles seraient les évolutions promises à cet homme s’il était posé comme un homme du présent?
Travailleur “très intermittent” (comme tout le monde), il sera peu sollicité par des activités professionnelles. Sa télécommande, devenue un pointeur miniaturisé fixé sur un doigt, pilotera sur un écran plus ou moins holographique, non seulement la télévision, mais aussi le jeu, la téléprésence, le choix d’une recette culinaire dans une publicité… directement livrable par “International General Food”… un robot domestique bon marché se chargeant d’aller la réceptionner. Grâce à des lunettes adaptées, cet homme pourra se transporter dans d’autres régions, d’autres milieux, d’autres univers par la magie de la réalité virtuelle. Aura-t-il plus de raisons qu’aujourd’hui de quitter son canapé?
En fait, à quelques retouches près, il constitue aujourd’hui, et peut-être davantage encore qu’hier, une représentation tout à fait plausible de l’homme du futur.
Cependant, aujourd’hui comme hier, le futurologue rejette cette image. Dans l’imaginaire de la prévision, le futur ne peut pas être apathique, il ne peut être que stimulant ou catastrophique.
Cet homme, qui n’est pas celui qui “demain sera capable de…”… n’est pas non plus celui qui est appelé à se voir doté de capacités extra-humaines. Cet homme n’a pas vocation à être “augmenté”. Notre homme est concret, alors que celui qui «demain sera capable de… » … est une abstraction: cet humain-là, c’est celui-ci.
Il est représenté comme peut l’être une idée, c’est à dire sous une configuration non réaliste. Quelles sont ses occupations? Que fait-il? En fait… rien. Il représente le futur et cela l’occupe à plein temps.
Toute la question se résume à savoir si l’évolution technologique va principalement concerner l’humain lui-même ou son environnement.
Dans le premier cas, l’équation du futurologue s’énonce assez simplement: homme + technologies = “SUR-humain”. Dans le second cas, la technologie a, au contraire, toutes les chances de générer un “SOUS-humain”, que peu de chose empêcherait de régresser vers un comportement très courant dans le monde animal, surtout quand le souci de s’alimenter n’existe plus.
En ces temps où l’on nous vend avec insistance, l’idée d’une amélioration de l’humain, le scénario inverse, déjà entrevu sous des angles différents, dans deux billets antérieurs («L’intellect humain est-il voué à l’affaiblissement?» – «une société dont l’addiction serait l’unique moteur»…), apparait décidément comme de plus en plus vraisemblable: être actif pourrait devenir de plus en plus difficile.
La pensée positive consisterait à l’accepter comme scénario de référence et à identifier les forces susceptibles de le contrarier. Mais pour cela il faudrait admettre que les pouvoirs qui nous gouvernent soient plus intéressés à inverser ce scénario qu’à le renforcer, ce qui semble … très improbable.
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