l’hygiène & ses rapports déconcertants avec l’idée de progrès

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L’hygiène a acquis aujourd’hui un statut très élevé dans l’échelle des valeurs sociales. Elle tend à imposer ses principes dans de très nombreux domaines.

En ce sens, tout laisse supposer qu’elle devrait peser sur notre futur. Pourtant les notions de tendances et de progrès s’y appliquent mal.

hygiène, histoire et progrès: des rapports confus


Annonciateur des progrès d’hygiène à venir, Jules Courmont insistait au début du XXe siècle sur la nécessité… de se laver les mains… alors que plusieurs millénaires avant notre ère (->), les Égyptiens, toutes classes sociales confondues, se baignaient quotidiennement, utilisaient régulièrement dentifrices, brosses à dents et cosmétiques élaborés vendus sur les marchés.
Au Moyen-âge et bien plus tard encore, les rues de nos villes demeuraient d’immenses fosses d’aisances et décharges publiques à ciel ouvert que se partageaient humains et animaux, alors que 6500 ans avant notre ère (->), dans une oasis mésopotamienne du nom de El Kown, existait déjà un système de gestion d’eaux usées.
Dans tous les domaines, l’évolution est généralement associée aux progrès technologiques. Ce fut également le cas pour l’hygiène, notamment dans la seconde moitié du siècle dernier avec la mise à disposition d’une eau purifiée sous pression dans les logements, du tout-à-l’égout et de la mise à disposition d’équipements dédiés (robinetterie, lavabo, sièges, douches…). L’efficacité de l’eau vis-à-vis de la propreté bénéficia de l’adjonction de divers produits financièrement accessibles: savon, shampoing, dentifrice… nettoyants domestiques pour sols, vaisselle… etc
Mais si les progrès technologiques ont permis de s’affranchir des pollutions organiques de l’eau, ils ont induit les pollutions chimiques issues de l’agriculture et de l’industrie et accompagné l’essor des idéologies technophobes.
(*) Au début des années 2000, divers mouvements apparaissent contre l’hygiénisme industrialisé. Le mouvement No Soap (sans savon) critique ainsi l’omniprésence des produits lavants, leur toxicité possible, leur coût, leur impact environnemental, et prône un lavage corporel à l’eau, en réservant les produits lavants à une pratique médicale.
Ainsi, l’eau, gangrénée par des germes de toute sorte, fut longtemps l’ennemi de l’hygiène publique… avant d’en devenir l’indispensable vecteur.
Mais l’alimentation en eau pure pourrait devenir problématique et d’un coût croissant. D’où un contingentement de fait, surtout pour les catégories les plus défavorisées de la population. Raréfaction et recours à de l’eau moins pure pourraient progressivement ramener celles-ci plusieurs siècles en arrière. Ce qui rejoint le propos d’un précédent billet relatif au futur du logement.
On vient de le voir avec le Covid: là l’ennemi ce n’était plus l’eau, mais l’air. Là encore la parade supposée du vaccin a été contestée comme une simple source de profit ou comme un remède pire que le mal.
Ces oscillations nous renvoient à un ancien billet relatif au concept de légitimité et à ses errances dans le temps et l’espace.

l’hygiène et ses propres paradoxes


Historiquement, l’eau fut longtemps l’ennemi de l’hygiène et la propreté de l’habit y prévalut à certaines époques sur celle du corps.
L’hygiène apparait comme un concept dédoublé entre une fonction de représentation – ancrée sur l’idée de propreté – et une fonction de responsabilité – liée à la maladie et plus particulièrement à la contagion. Historiquement, le dialogue entre ces “deux hygiènes” a mené à des constructions et reconstructions du concept autour de certains recours ou certains rejets… le même élément étant susceptible de passer d’une catégorie à l’autre.
Lorsqu’une légitimité est socialement validée, elle est vouée à se renforcer, se décliner, se démultiplier, se radicaliser. C’est notamment ce processus qui a mené à l’hygiène d’aujourd’hui… et qui mènera peut-être à celle de demain:
  • Se laver les dents – puis se les laver matin et soir – puis trois fois par jour – puis cinq vraies minutes à chaque fois – accompagné de minutieux passages de fils dentaires … etc…
  • De l’hygiène corporelle à “l’hygiène de vie”: exercice physique, diététique … compléments alimentaires … etc
L’hygiène est devenue un poste de consommation protéiforme.
En fait, même si les corrélations statistiques semblent la prouver, la relation de l’hygiène aux maladies est difficile à établir scientifiquement… et surtout pas dans ses modalités les plus radicales. Pour reprendre l’exemple précédent, une l’hygiène dentaire de plus en plus draconienne peut-elle être admise comme étant de plus en plus performante?
Cette question rejoint un point de vue plus global tel qu’exprimé par Hubert Reeves:
Trop d’hygiène n’est pas bon pour la santé !
L’hygiène se présente donc, à minima, comme une précaution.
La précaution vise les risques hypothétiques, non encore confirmés scientifiquement, mais dont la possibilité peut être identifiée à partir de connaissances empiriques et scientifiques.
Par ailleurs, l’hygiène a toujours induit les mises à l’index de certaines catégories de population. Ce furent longtemps les populations paysannes. On la retrouve aujourd’hui comme hier visant les étrangers… surtout les pauvres, et intégrée dans une idéologie anti-humaine en progression.

en guise de conclusion provisoire


Le progrès s’exprime généralement par rapport à un acquis. Or l’hygiène n’en est pas un, des siècles d’Histoire nous le prouvent.
On pourrait émettre un pronostic… très incertain… sur l’hygiène du futur, qui pourrait régresser dans sa dimension de représentation, pour des raisons économiques, et s’amplifier dans sa dimension de responsabilité à cause du développement probable de nouvelles épidémies liées au changement climatique et au développement de nouvelles pollutions (particules, gaz, nanoparticules, irradiations …).

Mais le poids de l’hygiène sur notre avenir sera surtout fonction de multiples oscillations dont les plus incertaines, celles des idéologies.


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