la curiosité
La curiosité est associée au fait de poser des questions, mais toute question n’est pas automatiquement motivé par la curiosité. Le champ de questionnement de celle-ci est délimité dans la forme comme dans le fond.
- Demander à un commerçant combien on lui doit, à un passant où se trouve un monument, ce n’est pas de la curiosité, c’est une nécessité de fonctionnement, au même titre que lire la notice d’utilisation d’un appareil.
- Dans un autre registre demander si Dieu existe, n’en est pas non plus: la curiosité appelle des réponses ou des ouvertures vers des réponses, pas des croyances hypothétiques.
- Demander la date de la bataille de Marignan n’est pas de la curiosité, c’est un jeu de culture générale où quelqu’un est mis au défi de répondre à une question… qui n’intéresse personne.
- L’objet de la curiosité ne peut être ni totalement public ni inaccessible. En matière d’informations interpersonnelles, par exemple, les réseaux ont provoqué une radicalisation des attitudes: l’exhibitionnisme rend la curiosité sans objet, un repli ombrageux sur sa vie privée la dissuade.
- Regarder par le trou de la serrure, installer des caméras de surveillance, explorer un lieu inconnu, relèvent d’une curiosité dont le motif n’est pas ciblé. Une question sous-jacente existe mais sans être explicitement formulée.
- La curiosité suppose une totale liberté intellectuelle. À défaut, la recherche d’informations ne relève plus de la curiosité, mais de l’exécution d’une tâche. C’est bien sûr le cas de l’activité professionnelle dans ce domaine, au premier rang de laquelle on trouve le scientifique. Celui-ci évolue aujourd’hui dans un espace intellectuel rigoureusement balisé, où il n’a plus le loisir de s’abandonner aux impulsions de sa curiosité. C’est sans doute ce que voulait dire Albert Einstein quand il déclarait:
La science est une chose merveilleuse… tant qu’il ne faut pas en vivre
- tantôt explicite: «ici, c’est moi qui pose les questions!» dit le commissaire, le juge, le professeur.
- tantôt implicite: comme dans les rapports adultes-enfants, intervieweurs-interviewés, DRH-demandeurs d’emploi… surveillants-surveillés
- La curiosité du dominant est posée comme légitime, celle du dominé comme inappropriée, voire subversive
- La curiosité suppose un effort que l’on mobilise dans l’optique d’une récompense, celle d’un accès privilégié à une connaissance perçue comme confidentielle
- Il est devenu très simple d’obtenir des réponses rapides et relativement développées sur n’importe quel sujet. Il devient rare qu’une question en appelle une autre, or… ce serait cela la curiosité. Elle ne consiste pas à poser une question, mais à en enchainer… au moins deux. En répondant de façon très complète, c’est-à-dire souvent “trop bien”, à une première demande, Wikipédia, ce superbe outil de connaissance, dissuade les rebonds sur de nouvelles questions. À peine engagée, la recherche s’éteint.
- Vue comme demande d’informations, la curiosité apparait débordée par l’offre. La préserver s’apparente aujourd’hui à rester gourmand dans un hypermarché de pâtisserie. Le besoin s’émousse. Sa satisfaction ne demande plus d’effort… donc plus de plaisir.
le futur de la curiosité
Une prédisposition à accueillir l’information demeure. Ce n’est peut-être plus de la curiosité, mais cela mériterait un nom, d’autant que ce nom pourrait représenter le futur d’une curiosité qui ne consisterait plus à chercher l’information, mais à l’évaluer. Elle s’attacherait aux principes logiques davantage qu’aux données. Une information ne serait plus une réponse, mais une question.
- L’information pourrait également avoir à composer avec de nouveaux critères de sélection, à l’image des données de traçage pour les produits matériels.
- Des révolutions affectent périodiquement le monde des sciences: cela s’appelle des changements de paradigmes, il s’agit d’une autre façon de regarder les mêmes choses (on lira ou relira Thomas Kuhn: la structure des révolutions scientifiques”). Quelque chose d’équivalent pourrait émerger qui concernerait l’articulation entre connaissance et information, donnant par là un rôle essentiel à la nature et au poids des questions
Si Newton s’était demandé “pourquoi cette pomme est-elle tombée sur moi à cet instant précis?”, il aurait pu écrire l’histoire d’une pomme. Or il s’est demandé pourquoi les pommes tombent et il a pu écrire la théorie de la gravitation”
- Les deux questions qui s’offraient à Newton ouvraient des champs totalement différents à sa recherche d’informations… à de nouvelles questions… à sa curiosité.
- La qualité des questions pourrait progressivement prévaloir sur celle des réponses: une montée en puissance de la philosophie.
À partir de ces différentes voies et peut-être de quelques autres, il serait étonnant qu’une transformation profonde ne soit pas déjà à l’oeuvre. Il reste à l’identifier pour comprendre comment nous allons, demain… “redevenir curieux”.
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