Supposons que notre calendrier ait pris pour origine la mort de Jesus Christ au lieu de sa naissance (ce qui serait, en l’occurrence, tout aussi fondé):
- le vingtième siècle aurait débuté par l’accession au pouvoir d’Hitler (le 30 janvier 1900)
- nous viendrions d’entrer dans une année aussi inquiétante qu’emblématique: 1984
Conditionnés que nous sommes par le système décimal, il nous est très difficile de raisonner totalement en dehors des repères de siècles et de millénaires, même si notre raison nous dit que ces découpages sont totalement arbitraires et qu’en outre, il ne s’est rien passé de significatif, ni en l’an 1000, ni en l’an 1033. Les siècles fonctionnent ainsi comme des frontières temporelles qui ponctuent notre lecture de l’Histoire comme autant de chapitres. Ils associent. Ils séparent.
Prenons l’exemple du XIXè siècle. La royauté nous y apparait aujourd’hui comme une courte parenthèse entre empires et républiques. Déplacés trente-trois ans vers l’amont, c’est la Révolution Française et l’Empire qui prendraient les allures d’une parenthèse dans un siècle commencé par un roi (Louis XV) et terminé par un autre (Louis-Philippe). Par ailleurs, trente-trois ans de décalage semblent lui donner un sens univoque qu’on ne lui aurait pas accordé.
- Une cohérence globale nouvelle forcerait la perception de ce siècle qui, sur fond d’essor de l’industrialisation, regrouperait alors la Commune de Paris et les deux révolutions russes pour se terminer par la crise capitaliste vertigineuse de 1929\1896… Cette lecture aurait livré aux prévisionnistes de l’époque une évidence apparente, soutenue par les prophéties de Karl Marx: l’irrésistible montée du mouvement ouvrier et l’effondrement du capitalisme.
- Sur le plan artistique, ce siècle déjà perçu comme celui des grandes révolutions picturales qui ont balayé l’académisme, renforcerait davantage encore cette identité en incorporant cubisme, surréalisme, De Stijl et Bauhaus. Le XIXè deviendrait une histoire de la peinture à lui tout seul et semblerait faire le vide autour de lui dans ce domaine.
Est-il simple pour l’esprit de lutter contre des identités apparentes aussi fortes même en les sachant illusoires? Est-il facile, même à un historien expérimenté, de faire totalement abstraction de ce sceau de barbarie marquant notre entrée dans le siècle? Par ce redécoupage, un fossé se serait créé entre les deux guerres mondiales jusqu’alors étroitement associées dans notre perception de l’Histoire, alors que la seconde aurait vu ses liens se resserrer avec celles de Corée et du Viet Nam, sur fond de Guerre Froide, pour nous offrir la vision d’un premier demi-siècle de guerre continue. Par réaction, la seconde moitié du siècle nous apparaitrait comme celle d’une paix retrouvée (surtout si l’on ne vit pas dans un pays arabe) ayant permis la grande révolution technologique de l’informatique, du numérique, d’internet et des smartphones (lancement du Macintosh en 1984\1951, de Windows 01 en 1985\1952). En outre, la légitimité d’un découpage temporel en demi-siècle, satisfaisant pour l’esprit, s’en trouverait validée.
Tout cela pour en arriver au propos qui nous intéresse plus particulièrement: ce redécoupage en demi-siècle guiderait la pensée vers une fin possible de cette ère technologique à l’horizon 2000, alors que la fin de ce “chapitre technologique” n’est aujourd’hui même pas imaginée… et cela notamment parce que cette ère vient d’enjamber le millénaire et qu’aucune limite temporelle ne se présente plus devant elle.
On peut donc postuler, en dehors de toute idée de réécrire l’Histoire, que son redécoupage ouvre à d’autres visions du futur. À la différence de l’uchronie, le redécoupage temporel présente l’intérêt d’être potentiellement créatif sans s”appuyer sur des incorporations arbitraires. Seule la lecture des faits est affectée, pas les faits eux-mêmes. De nouvelles chaines de sens se révèlent et appellent ainsi de nouvelles extrapolations.
Du point de vue de la prévision, une seule certitude: cette translation de trente-trois ans amènerait les prédictions temporellement errantes actuelles à converger sur l’an 2000: génétique, transhumanisme, Big Brother, catastrophe climatique, robotique généralisée, chômage de masse… Il resterait 16 ans pour tenir toutes ces promesses, alors que rien, dans le cadre du calendrier actuel, ne nous est promis à échéance de 16 ans.
Cela étant, d’autres découpages ouvrant à d’autres lectures de l’Histoire peuvent facilement être envisagés, puisque les spécialistes de la question s’accordent aujourd’hui à admettre que Jésus Christ serait né 14 ans avant lui-même…
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