la science & le futur de l’espérance de vie

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espérance de vie: un tissu d’évidences ?


En France on vit de plus en plus longtemps. Même en considérant les variables de sexe et de classes sociales (source)  les courbes de l’espérance de vie à 35 ans n’offrent aucune ambigüité, même si les inégalités demeurent.

EspVie35ans_réduit

De là découle un raisonnement scientiste aux allures d’évidence: la tendance étant due aux progrès de la médecine, et ceux-ci, comme tous les progrès, ayant vocation non seulement à se poursuivre, mais à s’accélérer, il est clair que le futur nous ouvre des perspectives illimitées dans ce domaine. On retrouve ainsi, sans surprise, ces exponentielles qui font le charme de la futurologie.

Selon Ray Kurzweil:

Dans une décennie, l’espérance de vie augmentera d’un an chaque année.

Selon Aubrey de Grey:

Il y a 80% de chances que l’homme qui vivra mille ans existe déjà

Certaines espèces vivantes sont effectivement capables de vivre plusieurs milliers d’années sans détérioration de leur dynamisme cellulaire et même au-delà de 5000 ans pour le pin Bristlecone

Bristlecone

Ainsi, après avoir frôlé l’absurde, on glisse directement vers une nouvelle évidence .

Si divers organismes ont des durées de vie naturelles différentes, sous l’influence significative de facteurs génétiques, alors des gènes différents ou modifiés pourraient permettre une vie plus longue.

La clé du miracle serait donc la génétique.

Les gens pourraient un jour vivre jusqu’à 150 ans simplement en « désactivant » certains gènes de vieillissement

… et ce même si quelques esprits-chagrin demanderont pourquoi l’évolution de l’humain n’y a pas pourvu par elle-même si c’était aussi simple.


 des doutes au pays des évidences


Dans ce contexte euphorique, l’annonce par l’INSEE du recul de l’espérance de vie en France en 2015 a donc surpris, d’autant qu’au niveau européen, selon l’INED et l’indicateur Eurostat:

En 2012, l’espérance de vie n’augmente pas …/… Elle stagne pour les hommes (78,4 ans) et diminue même de 0,2 point pour les femmes (84,8 ans), alors que l’espérance de vie en bonne santé diminue dans de nombreux pays.

Ajoutons que selon les données du régime général de l’Assurance maladie:

En 2014, 1,3 million de personnes ont déclaré une affection de longue durée (ALD) nouvelle. Le nombre de patients en ALD a bondi de 33 % en dix ans. Le seuil de 10 millions de Français atteints par une affection de longue durée (ALD) a probablement été dépassé.

Effet du vieillissement, certes, mais également manifestation d’une limite. L’augmentation de l’espérance de vie “ demeurerait donc une possibilité ”, mais ce “ ne serait plus une évidence ”. Ce qui amène à formuler deux remarques:

  • Les actions médicales de masse les plus “ faciles ” ont peut-être été effectuées et ne sont pas indéfiniment améliorables (information, détection, prévention, vaccinations)
  • Plusieurs décennies de croissance économique associée au plein emploi et à la jeunesse de la population ont permis une bonne prise en charge de la prévention et de la maladie et donc une généralisation des soins. Mais quel avenir faut-il accorder à cette configuration socio-économique (croissance + jeunesse + plein emploi)?

La performance scientifique n’est pas seule en cause dans la question de l’espérance de vie, peut-être même ne joue-t-elle pas le rôle principal. Il faut considérer deux dimensions du problème:

  • L’espérance de vie est une donnée statistique, ce qui signifie que la science n’agit sur elle que dans la mesure où elle influence le devenir du plus grand nombre. Les greffes cardiaques n’y jouent aucun rôle. Beaucoup de performances techniques annoncées pourraient s’inscrire dans cette même catégorie.
  • Des doutes peuvent être émis sur l’amélioration voire même le maintien de la performance scientifique (voir “ probabilités, corrélations: quand la science ne sait plus ”). Ils concernent – d’une part – la résolution des problèmes médicaux nouveaux et – d’autre part – l’assujettissement croissant de la science aux intérêts économiques… devenus aujourd’hui synonymes d’exigences boursières. On note ainsi l’exemple de l’entreprise pharmaceutique Sanofi:

Si les dividendes versés en 1980 représentaient, en moyenne, la moitié des sommes consacrées aux investissements, en 2014, elles représentent deux fois et demie ce montant.

Car la logique financière se diffuse dans l’ensemble du système :

Avec la loi de santé, les médecins seront incités à négocier avec les complémentaires privées comme ils le font déjà avec la puissance publique. De fait, les assureurs privés ne rembourseront pas leurs clients sans exercer un contrôle sur les dépenses. En plus de restreindre l’accès aux soins du côté de la demande, les complémentaires chercheront probablement, du côté de l’offre, à imposer aux médecins leurs conditions financières et organisationnelles


des problèmes classiques en voie de redevenir des problèmes nouveaux


Le poids futur de la performance scientifique dans ce domaine va donc dépendre de l’émergence (ou non) de problèmes médicaux qui soient à la fois nouveaux et susceptibles de concerner le plus grand nombre. Or tout indique qu’il y en aura.

L’action médicale a modifié l’environnement de la maladie et notamment l’adaptation des agents de transmission de celle-ci qu’il s’agisse des bactéries, des virus, des vecteurs comme les insectes. La résistance aux traitements, les mutations, les transferts entre l’homme et les différentes espèces animales sont en train de devenir la règle

Du côté des bactéries:

Les antibiotiques ont permis de faire considérablement reculer la mortalité associée aux maladies infectieuses au cours du 20ème siècle. Hélas, leur utilisation massive et répétée a conduit à l’apparition de bactéries résistantes à ces médicaments …/… ces résistances sont devenues massives et préoccupantes. Certaines souches sont même devenues résistantes à tous les antibiotiques disponibles. Ce dernier cas est heureusement encore rare, mais le phénomène est en augmentation. Il place les médecins dans une impasse thérapeutique : dans ce type de situation, ils ne disposent plus d’aucune solution pour lutter contre l’infection

 

Comme chez l’Homme, la surconsommation d’antibiotiques dans les élevages est responsable de l’apparition de résistances. Les bactéries multi-résistantes issues des élevages peuvent se transmettre à l’Homme directement ou via la chaîne alimentaire.

Du côté des virus  à partir de l’exemple du virus H1N1:

Il provient de recombinaisons virales entre virus humains et animaux franchissant la barrière des espèces …/… Cette inquiétude réelle [apparition de virus mutant] a été renforcée par l’incertitude sur les possibilités de réponse médicale.

La transmission par les insectes comme le moustique tigre:

En février 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé annonce que le virus Zika constitue « une urgence de santé publique de portée internationale »…/… Il n’existe aucun traitement spécifique.

Zika

Originaire des régions tropicales, il est maintenant bien implanté en France où il progresse rapidement

Dans un contexte de changement climatique et de mondialisation des échanges, les maladies vectorielles ont tendance à apparaître dans des secteurs géographiques épargnés jusqu’alors, ou, comme le paludisme, à réapparaître dans des secteurs où elles avaient disparu

Le changement climatique et ses conséquences sur la santé publique pourraient aller plus vite que l’adaptation des populations.


des hypothèses difficiles à confirmer


  • Il sera toujours très difficile d’établir le rôle possible du nucléaire ou des OGM sur la modification de l’environnement de la maladie, l’information étant largement sous contrôle dans ces domaines, mais le développement rapide de spécialités comme l’écotoxicologie –  – ou la toxicologie nucléaire –  – laisse supposer que le souci prend de l’ampleur… alors même que des milliers de tonnes de déchets nucléaires continuent à ronger tranquillement leurs containers dans le sous-sol de La Hague .
  • Le cancer du poumon largement imputé au tabac et à l’alcool devient une cause principale de mortalité à l’approche de la soixantaine, ce qui tendrait à montrer que l’organisme humain est capable de résister longtemps à une agression de ce type avant de céder, soit à cause de l’affaiblissement de son immunité, soit à cause d’une durée d’exposition. D’ailleurs, le cancer des poumons est en train d’augmenter chez les femmes, consommatrices plus tardives de tabac et d’alcool. Ce qui signifie que le troisième âge à venir aura été exposé plus longtemps que ses ainés aux cocktails atmosphériques nouveaux (pollution, ozone, pesticides, irradiations, nanoparticules, amiante, OGM… etc) dont les effets sur la santé publique ne sont peut-être “ pas encore ” totalement perceptibles.
  • Une désertification médicale, déjà préoccupante chez les médecins spécialistes, est en constante augmentation chez les généralistes. La réponse par le quantified-self , l’automédication et la médecine en ligne se présente comme une alternative aux effets très incertains. L’action politique est susceptible – peut-être – d’enrayer le phénomène… dans une certaine mesure.

CarteDésertMédicaux


des évolutions beaucoup plus probables


  • Au chapitre des rétroactions, il faut signaler que si elle commence à montrer des difficultés face à ces nouveaux problèmes, ce qui est probable, la foi en la science va diminuer rapidement et avec elle le recours aux soins, à la prévention et à la détection, surtout si la prise en charge s’affaiblit… ce qui va réduire l’efficacité de l’ensemble des processus qui avaient permis l’augmentation de l’espérance de vie depuis un siècle.
  • L’affaiblissement de la prise en charge et de la solvabilité d’un nombre croissant de personnes (chômage, retraites …) va également provoquer un développement du “ low cost ”, tant dans le domaine alimentaire, en réduisant la variété de l’alimentation, que dans le domaine du soin (l’exemple récent de Dentexia en est une probable préfiguration).

en guise de conclusion provisoire


Les progrès attendus de la science seraient donc illusoires ou sans effets sur l’espérance de vie?

On peut s’attendre à ce que soient battus quelques records de longévité

centenaires

Mais, pour ce qui concerne le plus grand nombre, on peut aussi prévoir une évolution très défavorable de l’articulation entre performance de la science et pouvoir économique

Au-delà des à-coups de la politique publique, la loi de santé s’inscrit dans une histoire de la médecine qui conduit pas après pas au désengagement de la puissance publique et, simultanément, à la perte d’autonomie des médecins au détriment des financeurs (notamment privés)

Oserons-nous dire “ heureusement ”, dans la mesure où l’augmentation importante de l’espérance de vie, utopie possible pour l’individu, serait l’idée la plus catastrophique qui soit pour la société où quatre générations (voire davantage) seraient appelées à cohabiter dans un contexte de réduction de l’emploi, de baisse des prélèvements sociaux, de baisse des recettes fiscales et de réduction de la natalité.

Chez les très riches, supposés de plus en plus épargnés par la maladie, on pourrait néanmoins s’attendre à une recrudescence des décès par chutes de hauteur et accidents de chasse, quand les générations intermédiaires seront lassées de jouer au golf avec des mannequins en attendant que l’entreprise grand-paternelle soit reprise par les arrières petits enfants.


 

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