effets collatéraux: de la pensée complexe à l’idéologie

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Les risques d’électrocution n’ont pas provoqué une levée de boucliers contre la diffusion de l’électricité. Or, ce serait sans doute le cas aujourd’hui.

Une transformation profonde s’est opérée dans la pensée collective. Ignorés hier, les effets collatéraux – dits aussi secondaires ou indirects – sont devenus l’objet d’un véritable culte.

les paradoxes d’une légitimité


En dehors des laboratoires, un objet d’étude – qu’il soit un être vivant, un produit ou un phénomène – ne se conçoit plus comme pouvant être isolé de son environnement. Tout raisonnement visant une certaine rigueur doit s’imposer une dimension systémique. Celle-ci est devenue encore plus incontournable avec le recueil massif de données qui interpelle directement à partir des corrélations qui en découlent. Les effets les plus “probables” – voire les plus “significatifs” – sont ainsi systématiquement associés à des effets qui le sont moins. Ce propos a déjà fait l’objet d’une première approche (“probabilités, corrélations: quand la science ne sait plus”):
Les corrélations constituent la seule façon de donner du sens à une grande masse de données, en amont, où elles se substituent aux causes, les probabilités la seule façon d’en donner, en aval, où elles modulent les effets.
Sur le plan du raisonnement, la prise en compte des effets collatéraux est donc on ne peut plus légitime, ce qui pose question c’est le “statut paradoxal” qu’ils ont acquis et les mécanismes par lesquels ils tendent à prévaloir sur l’effet principal.

les métamorphoses du risque


L’effet collatéral est à priori associé à un risque. L’aversion au risque, surtout évoquée dans le monde de la finance, a progressivement colonisé les esprits dans des sociétés économiquement prospères, quelque peu embourgeoisées, et par ailleurs accoutumées à l’illusion d’un contrôle total des produits, des pratiques et des phénomènes.

Lié à un aléa, à un fait de hasard, le risque fut longtemps perçu, non pas comme négligeable, mais comme… une abstraction. Il ne pouvait en rester là lorsqu’il s’est professionnalisé autour de la “couverture des risques”, se définissant alors par quatre facteurs: le danger, la probabilité d’occurrence, la gravité et l’acceptabilité.
Le mot important: «probabilité». Ce mot unifie le langage entre toutes les composantes d’un choix, que leur probabilité soit estimée à 1% ou à 80%. Les effets collatéraux relèvent ainsi d’une “probabilité” au même titre que les chances de voir se concrétiser l’effet principal recherché. Ainsi exprimé, le risque apparaît beaucoup plus tangible. Les médias banalisent, nivellent, simplifient. On tend, au bout du compte, à ne retenir de la “probabilité chiffrée” que l’expression d’une “possibilité”. Sur la base d’une simple “possibilité”, tous les risques tendent à être perçus comme équivalents. Leur poids relatif ne s’apprécie plus que par leur “bruit médiatique”. L’effet collatéral ne dialogue plus avec l’effet principal, il le remplace. Il n’appelle plus la synthèse, mais seulement la controverse… intellectuellement beaucoup moins exigeante.

les effets collatéraux et la communication


Les réseaux sociaux aidant, l’individu s’efforce aujourd’hui d’exister socialement au travers de la défense d’une cause… n’importe laquelle. Or, tout effet collatéral d’un choix, si ténu qu’il soit, dans quelque domaine que ce soit (économique, politique, environnemental…médical, alimentaire…), se présente comme une “cause” potentielle à défendre. Il incarne l’identité d’une opinion face à la pensée dominante. Ce qui fut l’un des composants d’un choix complexe, prend une vie propre et se dresse en argument… en argument d’un refus… d’un refus légitime… puisqu’il s’appuie … sur un risque.
De son côté, l’adhésion à la pensée dominante par le biais de l’effet principal escompté d’une décision, peut être assimilée à une forme de paresse (souvent d’ailleurs à juste titre). Par comparaison, l’effet collatéral y récupère une image positive, plus confidentiel, car ancré sur une connaissance supposée plus approfondie du problème, il tend à être perçu comme plus “vrai”.

De plus, la pensée dominante se présente comme suspecte, car au service d’intérêts dominants qui tendent à contaminer les intentions des choix (là encore à juste titre). L’effet collatéral se pose en argument antisystème. Que les forces du système s’y opposent ou les ignorent, elles se trouvent, de fait, instantanément positionnées du côté du “risque”… situation inacceptable, car contraire à leur vocation première. Appuyée sur un effet collatéral, une opinion est beaucoup plus difficile à ignorer.

Dans des médias comme dans la vie courante, une possibilité même anecdotique d’effet collatéral constitue une “information”, soit un “événement” dans le système de communication… qui en tant que tel attire l’attention.
Les routines à l’oeuvre dans ce domaine sont globalement légitimées par le modèle de pensée issu de l’écologisme, dans la mesure où les effets collatéraux affectant l’environnement, bien qu’effectifs – voire dramatiques – ont été longtemps ignorés…à tort… c’est devenu évident. Ils disputent aujourd’hui systématiquement le devant de la scène aux effets collatéraux sur l’emploi. Ce qui ne signifie pas que ces effets collatéraux, tout à fait légitimes sur le fond, ne s’inscrivent pas “eux aussi” dans les travers de la dérive générale exprimée plus haut… bien au contraire.
Dans sa dimension la plus usuelle, c’est-à-dire la plus paresseuse, l’effet collatéral transforme tout sujet d’analyse en sujet de conversation. Il est en cela extrêmement attractif au quotidien. En s’appuyant sur lui, on peut tout dire sur tout… à moindres frais en matière d’énergie intellectuelle. Sa dimension autoproclamée de “connaissance confidentielle” le prédispose, en outre, à s’enrichir d’affabulations complotistes.

en guise de conclusion provisoire


On le voit la dynamique à l’œuvre autour de la prise en compte des effets collatéraux va être difficile à contrarier. Née de la pensée complexe, elle alimente aujourd’hui nombre d’idéologies imprégnées de simplisme, parmi lesquelles la technophobie sur laquelle nous allons réfléchir dans le prochain billet.


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