à la recherche de l’économie circulaire
(*) «Le cercle n’a ni commencement ni fin, ce qui en fait un symbole universel d’éternité, de perfection».
Par ailleurs, l’idée où chacun de deux contraires porte en lui le germe de l’autre, nous vient de loin (IIIème siècle avant notre ère)
Ainsi, par l’imaginaire qu’elle véhicule, l’économie circulaire s’impose à nous, non seulement comme une évidence, mais comme une évidence indépassable. Deux de nos problèmes planétaires les plus fondamentaux, celui des déchets et celui des ressources, seraient voués à se résoudre mutuellement… ou à peu près.
Chaque français produit annuellement 354 kg d’ordures ménagères. En prenant en compte les déchets professionnels (BTP, industrie, agriculture, activités de soin), on atteint 13,8 tonnes de déchets produits par an et par habitant.
Le chiffre significatif pour l’économie circulaire… c’est le second. (*). Ajoutons que les 3/4 des déchets produits en France le sont par le secteur bâtiment-travaux publics.
En France, la destination de nos déchets se répartit ainsi: incinération: 30%, décharges: 36%, valorisation matière (recyclage): 20%, gestion biologique (compostage/méthanisation des déchets organiques): 14 %.
Ceci étant posé, nous pouvons soulever la seule “vraie” question concernant l’économie circulaire, celle de son statut attendu dans le futur: processus un peu marginal soutenu par quelques labels ou révolution économique?
mélanges & performances
La question de la circularité concerne donc surtout les déchets professionnels dans lesquels “tout est mélange”: les ressources, les matières qu’on fabrique à partir des ressources, les déchets qui découlent de l’usage des matières. Matières et déchets sont même, de plus en plus fréquemment, des “mélanges de mélanges” (composites de matières chimiquement complexes). Et ce sont ces ensembles disparates que l’économie circulaire se proposerait de relier en une boucle vertueuse (?). En outre, les processus qui permettent de traiter ces mélanges sont eux-mêmes spécifiques et multiples (phases chimiques, thermiques, mécaniques …)… eux-mêmes producteurs de déchets de toute nature… souvent toxiques… ce qui suppose d’autres traitements, ne serait-ce que pour les rendre admissibles par l’environnement. Un authentique recyclage en appellerait donc à une arborescence de circularités.
Ceci étant posé, que faut-il penser de ces matériaux qu’on nous présente comme “indéfiniment recyclables” tels le verre, le plâtre, de nombreux métaux, le papier …etc?
Le fait qu’un matériau soit indéfiniment recyclable a-t-il un intérêt s’il est toujours incorporé à des mélanges qui ne le sont, en règle générale, que très peu?
l’exemple du verre
(*) En théorie, ce matériau peut être fondu dans un four une infinité de fois sans altération de ses performances…/… Mais le verre plat, utilisé dans le bâtiment ou l’automobile, doit conserver une excellente transparence…/… Impossible, donc, de le mélanger avec des verres colorés (bouteilles)… ni même avec des verres au bore (laine de verre) ou au plomb (verre de cristal) car les fenêtres ou parebrises ne tolèrent aucun contaminant.
Et des contaminants, il y en a de plus en plus pour adapter les vitrages à des fonctions de plus en plus finement prises en compte: incorporation de couches de résine pour la sécurité, de gaz rares pour l’isolation thermique, de produits métalliques pour l’anti-reflets …
(*) Les éléments capables de former du verre sont variés, on recense le silicium, le bore, le phosphore, le germanium et l’arsenic sous forme d’oxydes la plupart du temps, ou de séléniures, sulfures, fluorures, etc. Ces matières permettent de donner sa structure caractéristique non cristalline au verre. Les ajouts de matériaux tels que des métaux alcalins, des métaux alcalino-terreux ou des terres rares permettent de changer les propriétés physico-chimiques de l’ensemble afin de donner au verre les qualités adaptées à sa fonction. Quelques verres optiques utilisent ainsi jusqu’à une vingtaine de composants chimiques différents pour obtenir les propriétés optiques désirées.
Le recyclage de chacun de ces additifs exigerait des traitements spécifiques. À défaut, ces additifs initialement dédiés à la quête de la plus haute performance deviennent, dans le processus de recyclage… de simples impuretés… à même de le rendre plus difficile, plus coûteux… voire impossible.
l’exemple du plâtre
Le plâtre est un matériau théoriquement totalement et indéfiniment recyclable; une fois nettoyé et sec, il retrouve les caractéristiques du gypse, la roche originelle; il peut alors être recuit pour être refabriqué, à condition que les déchets de plâtre soient correctement triés et ne contiennent pas trop d’additifs (certains plâtres sont colorés, rendus étanches, ou contiennent un ralentisseur de prise). De plus, ce matériau très absorbant a pu retenir et fixer des produits issus des colles, peintures, solvants, liquides, avec lesquels il aurait été en contact; certains de ces produits pouvant être des inhibiteurs chimiques.
Bien que supposé indéfiniment recyclable, le plâtre issu des chantiers de démolition est ainsi… très peu recyclé. Utilisé comme enduit sur de la brique, cas le plus fréquent dans les vieux bâtiments (ceux qu’on démolit), il n’est pas recyclable… du tout… et doit même faire l’objet d’un traitement pour pouvoir être admis à l’enfouissement. Au bout du compte… ce résultat:
(*) À l’heure actuelle, on peut réincorporer sans difficulté jusqu’à 12 % de recyclat dans la fabrication de nouvelles plaques, cloisons ou doublage en plâtre. À moyen terme, il devrait être possible d’atteindre un taux de 25 % de matière recyclée réincorporée dans le cycle de production
Aujourd’hui le recyclage s’inscrit davantage dans une problématique de la gestion de déchets que dans celle de la gestion de ressources. Réintroduire une partie des déchets dans un processus de fabrication, c’est avant tout… ne pas avoir à les brûler ou à les enfouir.
recyclage et performance
Les matières les plus performantes utilisées aujourd’hui ne sont pas des matériaux purs. Ils ont été adaptés finement à des fonctions particulières et supportent de moins en moins les composants non pensés comme nécessaires.
- Soit, comme on l’a vu, ils contiennent des additifs qui, même en doses extrêmement faibles, les rendent difficiles, voire impossibles à recycler et, en tout cas, inadaptés à leur usage initial
- Soit ils s’intègrent dans des ensembles composites très difficilement recyclables
- Soit ils sont l’objet de traitements particuliers qui les isolent de leur famille originelle de matériaux comme la fonte grise et la fonte ductile.
- Lorsqu’ils sont purs, il se doivent d’être d’une pureté extrême… très difficile à obtenir. Ainsi, le silicium est le matériau le plus abondant de la croûte terrestre, mais le sable de l’électronique n’est pas celui dont on fait les plages
Produire du silicium de qualité électronique consomme 160 fois plus d’énergie que du silicium de qualité métallique (ndlr: “qui en consomme déjà beaucoup”)
Le boom des terres rares le prouve, les exigences des marchés actuels exigent des matières de plus en plus performantes. Le recyclage produit des matières qui le sont de moins en moins… surtout par rapport aux niveaux d’excellence désormais requis. Les dynamiques technologiques et économiques à l’œuvre actuellement nous éloignent de plus en plus de la circularité. Elles supposent une immense variété de “matières riches et complexes”, quand l’économie circulaire ne pourrait fonctionner que sur des “matières faibles”, en nombre limité, largement utilisées sous la même forme. Ces conditions ne semblent pouvoir être réunies que sur des usages de “niche”: on prendra l’exemple des promesses du PET .
en guise de conclusion provisoire
L’économie circulaire ne sera jamais en mesure de se substituer aux ressources renouvelables. On imagine celles-ci plutôt issues du monde végétal. Prenons ainsi l’exemple de la cellulose, la plus commune et la plus renouvelable de toutes les ressources, dotée de possibilités dans de nombreux domaines (*), y compris dans des applications de pointe comme la fibre optique (*)… à l’évidence, une matière première riche en promesse.
Peut-on imaginer qu’elle ne soit pas portée au-delà de ses capacités… par quelques incorporations…quelques nouveaux mélanges… une pincée de terres rares? Sans doute pas. Et nous voilà revenus au problème initial. Des fonctions évoluées lui seraient sans doute accessibles par des approches nanotechnologiques ou des modifications génétiques… pourquoi pas, si celles-ci étaient gérées avec sagesse. Le problème est que la dynamique capitaliste ne saura jamais rien gérer avec sagesse.
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