Savourons le privilège de pouvoir profiter aujourd’hui, dans tous les secteurs, de perspectives technologiques quasiment illimitées et tout à fait bienvenues notamment dans le domaine du sexe où nos anciens ont fait preuve, de longue date, d’une décourageante inventivité. Le Kamasutra est reconnu comme une indépassable encyclopédie. Sous couvert de Mythologie, les anciens Grecs ont abordé de façon tout à fait décomplexée les partenariats les plus hétéroclites (inceste, zoophilie), ainsi que le recours aux outillages et stimulants les plus divers. La prostitution est connue comme le plus vieux métier du monde. Du point de vue des ambiances collectives, les bacchanales romaines restent une référence difficile à égaler.
Nos perspectives auraient pu se limiter à une timide reconquête de quelques parcelles du terrain perdu par rapport à cet âge d’or, si le progrès technologique ne nous avait pas donné accès à de nouveaux possibles. Grâce à lui de nouvelles questions nous sont enfin posées, telles que : «le sexe du futur sera-t-il virtuel, holographique ou robotisé?».
Mais n’anticipons pas. Quelques hypothèses doivent être formulées avant d’entrer dans le vif du sujet.
Il est vrai que la pensée du futur tend à accorder, par réflexe, un rôle central, voire exclusif, à la technologie. Il est vrai que cette mauvaise(?) habitude vaut également pour le futur du sexe, ce qui donne lieu dans ce cas à une conséquence inattendue: en dehors de certains aspects biologiques ou médicaux, c’est l’autoérotisme, dans ses différentes déclinaisons, qui apparait comme le destinataire le plus évident de ces “progrès”. La réalité virtuelle ou le robot sexuel sont principalement offerts à l’individu aux fins de pratiques individuelles. Un futur technologique pour le sexe suppose donc implicitement un déclin de la sexualité interpersonnelle au profit de l’autoérotisme.
En dépit de toutes ses “révolutions”, le sexe reste nimbé de honte (une multinationale ayant pignon sur rue peut créer une filiale dans le domaine militaire, pas dans le domaine du sexe) et la masturbation en reste la plus honteuse des pratiques. Ne s’y attachent ni “Marche de la Fierté”, ni “Onan Pride”. Ce qui amène plusieurs questions:
- Va-t-on ou non vers un déclin de la sexualité interpersonnelle?
- Si l’autoérotisme devenait une pratique dominante pourrait-elle sortir de sa clandestinité relative pour devenir une pratique sociale assumée?
- Si la sexualité devenait plus “technologique”, quelles en seraient les voies les plus prometteuses (virtuel, robots, hologramme)? (*)
de la possibilité d’un déclin de la sexualité interpersonnelle
Un déclin de la sexualité interpersonnelle amènerait “mécaniquement” à un développement de l’autoérotisme et un survol même rapide permet de se convaincre de la plausibilité de ce scénario: instabilité des couples (instabilité du marché du travail et augmentation de la mobilité professionnelle, difficultés d’installation liées au coût du logement, développement du burn-out et/ou de l’oisiveté forcée, des états dépressifs), écart de plus en plus flagrant entre les partenaires possibles du quotidien et les images idéales véhiculées par les médias, conditionnement à un isolement et à une existence par procuration induite par les réseaux sociaux, problème des maladies sexuellement transmissibles, dénuement économique, vieillissement de la population, facilité d’accès à la pornographie…etc. Les télérencontres par téléphone, messagerie ou vidéo peuvent d’ailleurs être comprises comme une forme intermédiaire de sexualité annonçant un glissement dans ce sens.
Posons donc comme probable un développement de l’autoérotisme d’ailleurs fortement stimulé par les promesses en matière de réalité virtuelle et de robots sexuels et déjà lisible dans l’audience croissante des vidéos pornographiques sur internet
réalité virtuelle et robotique
En quoi consistera l’intelligence d’une machine dédiée au plaisir sexuel? À l’évidence, à ce qui fait la spécificité du robot, à savoir la détection en temps réel: détections des humeurs du consommateur (fatigue, stress, préférences …), des zones érogènes et de leur niveau d’excitation, des contacts de textures les mieux accueillies, des préférences en matière d’environnement virtuel, de rythme, de douceur ou de brutalité… etc…
Pour les anciens agriculteurs suant sous le soleil des moissons, pour les mineurs, les dockers et autres travailleurs de force, il aurait été difficilement concevable que des gens puissent un jour soulever de la fonte pour leur plaisir ou parcourir de longues distances en courant sans y être obligés. La bonne blague de l’époque aurait été que ces coureurs puissent transpirer sur des tapis roulants qui les empêcheraient d’avancer.
L’autoérotisme devenu une pratique sociale assumée, conjointe et non partagée pourrait-il, un jour, lui aussi, s’inscrire dans des espaces de type fitness … qui ne seraient finalement rien d’autre qu’un type nouveau de maisons closes… mais ouvertes… on n’ose pas parler d’espaces de coworking… où des appareillages dédiés offriraient aux consommateurs une palette variée de soins spécifiques, dans des conditions d’hygiène irréprochables … le tout, bien sûr, dans un environnement virtuel optimal et éventuellement choisi?
Ces espaces, tout à fait compatibles avec les clubs de forme classiques, pourraient d’ailleurs fusionner avec eux autour d’un concept élargi de “soins du corps”.
Cette représentation de pratiques autoérotiques partagées pourrait devenir centrale dans la recherche d’un nouveau business modèle du secteur, dans la mesure où elle recouvre la possibilité de mettre à portée de toutes les bourses (comprenez-moi, c’était irrésistible!) des équipements sophistiqués, évolutifs, très “intelligents” au sens de la robotique, donc appelés à rester coûteux. À l’inverse, un autoérotisme pseudo-clandestin restera lié à une consommation de masse fondée sur des produits moins chers et moins perfectionnés: la réalité virtuelle y sera sans doute plus centrale et la robotique plus sommaire.
En fait, ces nouvelles “maisons closes robotisées”, à l’ouverture desquelles aucun argument moral ne pourrait plus être opposé, constituent probablement la seule innovation susceptible d’affecter véritablement les pratiques sociales dans ce domaine, dans la mesure où, en dehors de stimulants de nouvelle génération, rien de significatif ne sera inventé ni en matière de sexualité interpersonnelle ni dans l’onanisme ordinaire. L’illusion du contraire nous est donnée, une fois de plus, par la morphologie humanoïde du robot, qui nous présente la robophilie comme un partenariat inédit, une sorte d’hétérosexualité d’un nouveau genre, alors que le robot sexuel ne sera jamais rien d’autre qu’un vibromasseur évolué.
Nous l’avons vu dans d’autres domaines, la représentation humanoïde du robot ne sert qu’à polluer la pensée du futur et à en fausser les analyses (voir billet).
Nestor Phygi
Votre article est très intéressant ! On a rédiger un article également sur notre blog concernant les différentes innovations que l’on peut trouver avec le développement de la SexTech. N’hésitez pas à venir faire un tour si vous êtes curieux !😉