Un nouveau regard sur la matière
Un changement de paradigme c’est le recours à de nouveaux concepts, d’autres outils, d’autres méthodes. Dans un premier temps, il va surtout consister en une nouvelle façon de considérer la même chose. On peut ainsi voir le bois – soit comme un “ matériau naturel ”plus ou moins transformé – soit comme (w):
un composite à base d’une matrice en lignine et de renforts en fibre de cellulose
De cette nouvelle vision vont en émerger d’autres:
Un matériau composite est un assemblage d’au moins deux composants non miscibles (mais ayant une forte capacité de pénétration) dont les propriétés se complètent. Le nouveau matériau ainsi constitué, hétérogène, possède des propriétés que les composants seuls ne possèdent pas.
On notera que, dans cette définition, se trouve mentionné deux fois le mot “ propriété ” .
C’est que “ l’approche composite ” a effectivement amené à une exploration beaucoup plus poussée de ce que sont les “ propriétés ” des matériaux. Par là, la pensée des matières a rejoint l’univers très actuel des “ données ”.
Les propriétés
Une constellation d’indices numériques (lien source) est venue “ objectiver ” toutes ces propriétés
Aucun domaine ne fait plus l’économie de toute une palette de descripteurs chiffrés, classés en catégories, en classes, associés à des seuils. À partir de là se sont construites les normes associées à leurs conditions d’utilisation. Aujourd’hui, chaque matière est associée à l’équivalent d’un “ génome ”.
Ainsi s’est installé au niveau de l’approche des matières un processus, envisagé dans le billet précédent dans un autre domaine: le passage de la donnée qui décompose à la donnée qui re-compose, de celle qui décrit à celle qui construit.
La remise en cause des catégories classiques
Avec l’arrivée des nanomatériaux, tout se passe comme si la continuité entre l’abstraction de la donnée et l’essence de la matérialité avait été trouvée ou retrouvée à l’échelle de l’atome… qui quelque part n’est peut-être ni l’un ni l’autre. Cette connexion étant établie, la logique consiste alors à définir une matière à partir d’une palette de propriétés attendues pour un usage particulier. On ne subit plus la configuration de la matière, on la crée. Ce n’est plus elle qui préexiste… mais les “ données ”.
La remise en cause des grandes thématiques
Autour de cette évolution, se redéfinissent les limites entre toutes les grandes catégories traditionnelles: les données et la matière, les solides et les gaz, la physique et la chimie, les ondes et les particules…
Le traitement des données entre la matière et l’algorithme
La “ reconstruction de la matière ” et “ l’algorithme ” deviennent ainsi deux façons de “ traiter des données ”, en théorie fondamentalement différentes. Pourtant, là aussi, les frontières s’estompent avec l’idée de “ matériaux programmables ”.
Néanmoins, on peut postuler que plus il y aura “ d’intelligence ” dans la matière, moins il sera nécessaire d’avoir recours aux algorithmes. On peut voir là le principe par lequel les biotechnologies vont progressivement se substituer à l’informatique, après une phase de cohabitation.
La frontière entre le réel et le simulé
Prendre pour point de départ les données c’est aussi pouvoir simuler le réel. Chaque jour nous amène de nouvelles variations autour de ce thème:
- une démonstration spectaculaire issue d’un laboratoire du MIT
- le dernier-né des projets d’HP
- L’illusion sort des domaines visuels et acoustique pour entrer dans l’haptique, devenue très à la mode dans les dispositifs d’interface.
- Mais surtout, aux frontières du réel et du simulé, comment ne pas s’attarder sur cette étonnante technique de hacking de visage
Nous reviendrons ultérieurement plus en détail sur cette importante question des environnements simulés.
La remise en cause du rapport visible/invisible
Dans chacune des cellules humaines de 1/100 de mm, l’ADN total fait plus de 2 mètres
Là, les grandeurs du monde matériel traditionnel cohabitent avec celles du monde invisible
Les nanomatériaux peuvent ainsi recouvrir de très grandes surfaces. Des matières nouvelles s’élaborent par simple projection. Le spray, longtemps réservé aux cosmétiques, construit aujourd’hui des matériaux à hautes performances (INSERM)
Cette méthode « couche par couche » permet de fabriquer des matériaux dotés de propriétés extrêmement variées. Peu coûteux et peu polluant, ce procédé figure dans le classement des dix résultats les plus importants de ces dix dernières années dans le domaine de la chimie.
Les données, au-delà des propriétés basiques des matériaux
Des capacités élaborées peuvent être “ appliquées ” sur des supports de n’importe quel type (même source)
La gamme déjà importante d’applications de ces couches minces s’est élargie. Les nano-revêtements obtenus par ces différentes méthodes de dépôt ont des applications en science des matériaux : diodes électroluminescentes, piles à combustible, cellules photovoltaïques, revêtements anticorrosion, écrans flexibles, membranes de séparation, etc.
Le rapport entre l’inerte et le vivant
À la suite de l’explication précédente (même source)
Par ailleurs, l’introduction au sein de ces films de molécules biologiquement actives (peptides, enzymes, médicaments, protéines, ADN, cellules, etc) conduit à des nano-revêtements ayant de nombreuses applications dans le domaine des sciences de la vie
Le nouveau paradigme et ses perspectives
Ce nouvel univers doit autant aux données, qu’à la matière, aux gaz qu’aux solides, à l’inerte qu’au vivant. Il est inédit. Rien d’approchant n’a jamais été conçu.
A ce niveau, on pourrait imaginer la matière du futur comme constituée d’un substrat neutre, simple, économique et pourquoi pas “ écologique ” (papier, tissage…), n’ayant pour fonction que d’accueillir des films porteurs de propriétés parfaitement ajustées aux objectifs des produits envisagés. Posée en ces termes, se dessinerait la voie d’un progrès plausible.
Mais il faut garder à l’esprit trois choses :
- Formuler correctement les termes d’un paradigme nouveau est très incertain.
- Le piège consiste également à vouloir lui trouver des applications immédiates, car seules celles-ci offrent l’inédit et le spectaculaire qui constituent la demande implicite adressée au futurologue. Or un nouveau paradigme produira plus probablement des révolutions que des gadgets… mais pas tout de suite. Dans un premier temps, on peut se limiter à le garder à l’esprit pendant qu’on analyse… tout le reste.
- Notons aussi que cette nouvelle approche de la matière, celle qui reconstruit une réalité à partir d’une collection de données, présente beaucoup de points communs avec un modèle déjà bien identifié, mais jugé beaucoup plus inquiétant: celui de la génétique.
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