Imminent serait l’avènement du robot dit “personnel“ ou “domestique“ ou “de compagnie“. À la question « pour quoi faire? », une réponse évidente: « un robot peut tout faire ».
Un robot peut tout faire!
Dix capacités permettant d’accomplir dix tâches peuvent être attribuées, soit à dix objets différents plus ou moins connectés (voir billet précédent), soit à un seul robot. La plu-value de la seconde solution réside dans le fait que la concentration de capacités rendra possible une gestion des interactions, entre les dix capacités initiales et entre elles et leur environnement… soit très rapidement des milliers d’interactions complexes … et ce, pour seulement une petite dizaine de fonctions initiales!
Un robot, correctement réalisé doit couvrir tous les cas d’utilisation vraisemblable susceptibles de se présenter autour d’un usage donné, afin de “répondre aux besoins du plus grand nombre. Cela signifie que pour un individu donné, 90 à 95% de ses compétences seront inutiles (c’est le pourcentage de ceux qui n’utilisent que les quatre opérations de base dans Excel), mais qu’il en manquera toujours une ou deux… très importantes en situation exceptionnelle.
Il y aura toujours et obligatoirement “trop“ d’un côté et “pas assez“ de l’autre… à la fois sur-programmation et sous-programmation. Des décennies de prospérité nous ont rendu familière ces idées de trop-plein et d’inutilité. Elles ont affecté notre rationalité de consommateur. La question de nos besoins réels risque de se reposer à plus ou moins court terme.
Un robot consiste à proposer l’équivalent d’une supérette à quelqu’un qui ne consomme que des soupes, des compotes et exceptionnellement un défibrillateur cardiaque. Mis en situation, trois bijoux connectés bien choisis feront mieux pour un coût infiniment plus faible.
Car aujourd’hui, ce qu’il y a de nouveau, c’est l’émergence de possibles alternatives au robot, soit issues des objets connectés (voir » Ces gadgets qui nous annoncent un autre futur « ), soit issues des nanotechnologies (voir « robotique & nanotechnologies: deux visions du robot du futur« ). Même des technophiles ont aujourd’hui le droit de douter de l’avenir du robot.
Économiquement et même fonctionnellement parlant, le robot va apparaitre de moins en moins crédible dans le quotidien.
L’intervention du robot suppose le préalable d’une simplification, propos développé dans un billet précédent (voir « un robot ne saura jamais participer à une réunion inutile… ou il le fera très mal »)
Un simple robot-aspirateur ne saura plus s’acquitter de sa tâche si des gamins jouent à la balle autour de lui ou si le chien lui court après. On imagine bien la voiture autonome sur l’autoroute ou dans un parking, mais comment fera-t-elle pour changer de file dans un embouteillage?
Un robot peut tout faire… mais dans un système “ordonné“ c’est à dire suffisamment simplifié pour être modélisable.
Un système industriel est présumé l’être. Un écosystème est supposé ne pas l’être. L’environnement social et humain l’est… dans une certaine mesure, mais malheureusement pour le robot… probablement pas suffisamment.
Le robot et l’idée de complexité
Le robot nous interpelle sur la notion de complexité, qu’il reformule de fond en comble. Celle-ci en avait besoin dans la mesure où elle était devenue très “idéologique“, car intégrée à une logique économique aux objectifs tout à fait transparents, que l’on peut résumer de la façon suivante:
« La complexité exige une haute compétence. Une haute compétence suppose un haut niveau de rémunération… qui devient par là même l’indicateur de la haute compétence. Qui gagne beaucoup d’argent est donc évidemment supérieurement compétent en quelque chose… et même en quelque chose d’essentiel… au minimum “en stratégie“ ».
Or, sur la base de l’argument précédent, on peut s’autoriser à prétendre qu’il sera plus facile à un robot de remplacer un stratège plutôt qu’une aide-soignante dans un centre d’accueil de personnes âgées (le féminin se justifie par l’observation in situ).
Un robot ne fera pas les lits, ne prendra jamais à sa charge les conséquences multiples de l’incontinence des pensionnaires, ni l’aide au déplacement de personnes en tenant compte de leurs douleurs et problèmes moteurs spécifiques. Tout cela, un robot ne le fera pas, d’abord parce qu’il est techniquement très difficile de le lui faire faire, ensuite parce que cela ne sera jamais économiquement rentable… surtout comparé aux salaires des personnes qui prennent quotidiennement en charge ce type de tâches.
Ce qui nous amène à l’idée de service, cet Eldorado supposé du robot du futur.
Le robot et l’idée de service
Un service n’est-il qu’une association de fonctions? Cette idée fonde l’hypothèse qu’un robot peut tout faire.
Si tel était le cas, deux robots de service pourraient s’additionner pour en devenir un troisième qui regrouperait les capacités des deux premiers. On resterait dans le cadre d’une agglomération de fonctions. Voyons cela à partir d’un double exemple de robots dit “de compagnie“:
Le Furby 2013 est furieusement interactif : il parle, danse, rote et pète, rigole, mange et ronfle, en fonction de ce qu’on lui fait/dit/donne à manger, et bien d’autres choses encore…
Pepper, destinée au grand public, sortira sur le marché japonais en début d’année 2015. Les enfants trouveront en elle une partenaire de jeu originale. Elle pourrait aussi être un professeur particulièrement efficace pour apprendre une langue étrangère.
Ces deux ensembles de fonctions peuvent techniquement être associés. Mais pour l’enfant, le robot qui deviendra professeur cessera par là d’être un jouet. Pour les parents un robot professeur ne sera pas supposé “roter“ et “ “péter“.
L’autre des grandes caractéristiques de cette boule de poils, c’est qu’il existe cinq personnalités de Furby ; quand on l’achète, c’est la pochette surprise : vous pouvez tomber sur le rude, le timide, le fou qui rit tout le temps, le diabolique ou le câlin.
Rendre un service suppose, pour le robot, composer avec un ensemble de normes sociales appuyées sur certaines légitimités et associées à certaines connotations.
Le personnel d’accueil se doit d’être souriant… même si cela ne correspond à rien en termes strictement fonctionnels. À l’inverse, une personne âgée qui évoquera ses souvenirs n’aura sans doute pas l’impression d’être écoutée… si elle ne l’est que par un robot. Or le service aux personnes âgées ne consiste souvent qu’en cela. Le robot câlin sera rapidement assimilé… à un sex-toy… et ce d’autant plus qu’il le deviendra effectivement chez d’autres fournisseurs. Il n’est pas si facile pour un robot de compagnie de remplacer un chat.
La fonction est un concept technique, alors que le service est un concept social. Les deux ne se réfèrent pas au même univers.
Le robot industriel: un avenir peut-être plus chaotique qu’il n’y parait
L’intérêt le plus fondamental d’un robot va consister à assumer des tâches là où l’humain ne peut pas intervenir (environnements nuisants, dangereux… ou invisibles) ou lorsque certaines capacités exceptionnelles sont requises (vitesse, extrême précision, puissance mécanique, détection…)… ce qui le prédispose aux missions militaires, mais ne correspond qu’à une petite partie des tâches industrielles courantes qui lui seront dévolues. Pour celles-ci, celles ou le robot et l’humain apparaissent interchangeables, en quels termes se pose le futur? L’avenir est-il déjà joué?
Dans l’espace industriel, humains et robots se présentent comme deux populations qui tendent à s’autodétruire, au moins au stade final.
Il est donc intéressant de conclure en invitant à une “méditation économique“ à partir du « modèle prédateur-proie » fréquemment évoqué par les scientifiques pour approcher la dynamique de ce type de populations.
S’il n’existait pas de mécanismes naturels de régulation, les animaux prédateurs pourraient théoriquement faire disparaitre toutes leurs proies, puis disparaitre eux-mêmes faute de nourriture.
C’est sur ce problème que se sont penchés les mathématiciens Alfred Lotka et Vito Volterra. Ils ont obtenu la représentation théorique suivante de l’évolution comparée de ces populations
On trouvera ici une analyse du même type, qui -d’une part- est expliquée de façon compréhensible pour les non-spécialistes – merci à son auteur – et qui -d’autre part- s’appuie sur une observation réelle de l’évolution des populations animales sur une longue durée
Laisser un commentaire