Derrière l’alibi de la prévision, la futurologie se limite, dans les faits, à annoncer une domination à venir. Celle-ci se veut globale et sans recours.
La pensée du futur se caractérise ainsi par le rejet, à priori, de toute forme de régulation… soit une incompatibilité fondamentale avec l’idée même de pouvoir politique dont la régulation des rapports sociaux est précisément la raison d’être.
Ainsi, qu’il s’agisse de démographie, de réchauffement climatique, de raréfaction des ressources, de radicalisation technologique, bureaucratique ou capitaliste, il est acquis que l’avenir vivra sous le joug d’une contrainte majeure, toute ambiguïté à ce niveau étant perçue comme le symptôme d’une prévision faible. De plus, alors qu’une dictature peut facilement se fondre dans la domination globale d’un principe particulier, celle-ci s’accommode plus difficilement de la “douceur présumée” de la démocratie.
les 1001 dérives de la démocratie
Cependant, sous nos yeux, la démocratie se transforme, preuve qu’elle pourrait devenir quelque chose de différent de ce qu’elle… “devrait” être.
Des approches à caractère global furent l’objet de deux anciens billets (voir: «la démocratie peut-elle évoluer en direction de son idéal?», ainsi que «de la servitude volontaire à l’ingénierie du consentement»). Quelques hypothèses sur le devenir de différents éléments du “bouquet d’ingrédients” qui définit la démocratie peuvent s’y ajouter.
une représentation élue des citoyens
Est-ce toujours la voix des citoyens qui résonne sous les lambris des lieux supposés de leur représentation ou bien celle des acteurs d’une classe politique qui n’a plus pour projet que sa propre reproduction?
Il y a aujourd’hui en France un peu plus de 600 000 mandats électifs, mais ce chiffre est trompeur (cumuls de mandats, élus de petites communes dont environ 50% de bénévoles)-(*). La classe politique s’identifie mieux au travers des tremplins d’ambitions personnelles que sont les partis politiques, dont les membres n’ont été élus par personne, alors que c’est parmi eux que le peuple sera invité à choisir ses représentants. C’est autour de ce concept, qui s’est glissé entre l’électeur et sa représentation, que se regroupent des réseaux d’acteurs directement ou indirectement rémunérés, et dont la survie passe, entre autres choses, par la démagogie et par la soumission aux pouvoirs économiques. On évoquera – ce qui n’est malheureusement qu’un exemple parmi beaucoup d’autres – le cas des institutions européennes (*):
Plus de 35 000 lobbyistes gravitent autour des institutions européennes, à Bruxelles …/… les lobbys ont un budget cumulé de 1,5 milliard d’euros par an …/… les députés européens sont invités à inscrire dans un registre informatique les réunions qu’ils tiennent avec des lobbyistes …/… 63% des députés européens ne déclarent pas leurs rencontres
(*) Petite mention complémentaire concernant les manœuvres de notre pouvoir actuel sur ce sujet sensible.
la dérive de la représentation syndicale
Les grands accords globalement applicables au monde du travail sont négociés par les syndicats sous l’égide des grandes entreprises publiques ou privées. Les amendements issus du “découpage de cheveux en quatre” dont les acteurs se sont fait une spécialité, peuvent sembler y avoir un sens, alors qu’ils aboutissent à des mixages de contraintes surréalistes dans les entreprises de tailles artisanales… qui peuvent difficilement s’imaginer avoir été prises en compte dans ces décisions. Soit une nouvelle variation sur le thème de la domination des petits par les gros dans les démocraties.
la liberté d’expression et plus spécialement la liberté de la presse
Ce thème ayant fait l’objet d’un développement particulier dans un ancien billet (voir “le futur du quatrième pouvoir”), nous n’allons pas y revenir sinon pour souligner que ce composant essentiel de la démocratie… va mal.
Par ailleurs, la cacophonie est aussi une façon de rendre inaudible la voix des citoyens. Elle s’impose quand chacun cherche à exister au travers d’une cause “originale”(voir “aspirations collectives: le crépuscule des mobilisations” -> “l’inéluctable dérive vers la promotion du faux”). Elle est portée par les réseaux sociaux… et au-delà par les médias qui s’en nourrissent … abondamment et paresseusement (*).
En 2018, un expert des réseaux sociaux estimait qu’à peine 1 % des gens qui suivaient Donald Trump sur Twitter lisaient ses tweets à même leurs fils d’actualité. Les autres les voyaient parce que les médias les relayaient.
l’acceptation d’un certain niveau de complexité dans la formulation des problèmes à résoudre
La démagogie, la suraccumulation des militantismes de microcauses, la judiciarisation des rapports sociaux, la médiatisation des décisions du législateur amènent à une accumulation de petites lois ciblées. Ces lois sont démagogiquement accordées, à peu près, à qui les demande, ce processus additif rendant les compatibilités de plus en plus acrobatiques et les synthèses de moins en moins possibles, car il y aurait toujours un groupe qui aurait l’impression d’y perdre quelque chose, ne serait-ce que son identité. Selon un mécanisme éprouvé, la complexité est tuée par la complication.
La seule légitimité susceptible d’être largement acceptée est celle qui relève de la force majeure… où l’on retrouve l’assujettissement du pouvoir politique à ces forces dominantes, vouées à façonner le futur… évoquées en introduction… et où la démocratie n’a aucune place.
une absence relative de brutalité dans la gestion des rapports sociaux
Les brutalités policières se développent à l’échelle planétaire et quels que soient les régimes politiques concernés… y compris les démocraties (*).
l’idéologie planétaire
Bien avant l’écologie, l’idéologie planétaire s’était imposée dans l’imaginaire du futur, portée par les fictions extraterrestres. Elle est d’ailleurs intimement liée à l’absence d’alternative qu’imposent les “prévisions fortes” et qu’on imagine mal pouvoir être contournée par le simple franchissement d’une frontière. Or, une démocratie unique fonctionnant à l’échelle de la planète est – et à juste titre – inimaginable. Au mieux peut-on formuler l’idée d’une cohabitation de “démocraties”. Mais si chacune d’elles fonctionnait normalement, elles ne pourraient produire que des états variables, voire divergents (s’ils ne l’étaient pas, cela serait le symptôme manifeste… d’une absence de démocratie).
en guise de conclusion provisoire
Pourquoi un futur démocratique est-il impossible à imaginer? La démocratie n’a pas vocation à mener quelque part alors que la pensée du futur a besoin d’un horizon. De plus, on le sait, nos images du pouvoir sont stéréotypées, nous sommes incapables d’en esquisser de nouvelles. À l’image du vieillissement ou de la corruption progressive, les évolutions lentes sont difficiles à percevoir. La démocratie ne dispose ainsi d’aucun modèle pour son renouvellement…
… «pour l’instant» dirait l’optimiste.
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