métaphysique du drone: vers de nouvelles peurs

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L’idée de drone est indissociable de celle de cible. Implacable dans sa poursuite, impénétrable dans ses motifs bien qu’au service d’une intention cachée.

L’imaginaire du drone s’est construit autour de son utilisation militaire. Le drone détecte. Il suit. Le cas échéant… il tue.

(*) À Kherson, les civils sont délibérément attaqués par des drones de l’armée russe qui les abattent en pleine rue

(*) En tant qu’outil militaire, le drone permet à son opérateur d’agir en toute impunité …/… Les drones sont l’infrastructure clé de la guerre de l’ombre du 21e siècle : un conflit sans responsabilité, sans frontières et sans pitié.
Dans son utilisation civile la plus immédiate, le drone incarne “le progrès” en matière de caméra de surveillance. Il est un outil de contrôle “en mouvement”… ce qui existe déjà en matière d’infraction routière (excès de vitesse, stationnement). Sa mise en place à grande échelle pourrait donc s’effectuer … “naturellement”.

une peur inédite

Le drone a pris la place du robot dans nos grandes peurs technologiques. Pour le robot, nous sommes un modèle, pour le drone nous sommes une cible. La peur du premier est fondée sur sa possible capacité à nous remplacer, quand le second a vocation à nous surveiller – voire, le cas échéant, à nous éliminer.
Il nous voit depuis le ciel. On ne peut rien lui cacher. Il peut nous punir… ou pas. Les voies du drone sont impénétrables. Viennent spontanément à son propos les mots qui habituellement servent à parler des dieux ou des extraterrestres.

Le drone incarne une domination sans négociation possible. Prédateur invisible, ses capacités de détection sont vouées à être de plus en plus élaborées, alors que, dans le domaine militaire, son action est simplissime: au final, il tire ou pas.

Dans l’imaginaire, le drone apparait infaillible.
(*) Pourtant, si les partisans d’une utilisation toujours croissante de drones armés ne cessent d’invoquer le motif de la précision, il en va de même pour les opposants, qui affirment que les frappes sont en réalité imprécises, faisant référence au nombre important de victimes civiles.
Terrorisant par sa précision, le drone l’est ainsi tout autant… par son imprécision.
La peur qu’il inspire aux populations civiles est liée à cet arbitraire… sans négociation possible… que l’on ne trouve que dans les polices de régimes totalitaires.
(*) Le critère sur lequel se fonde l’analyse des situations observées au sol est celui de la « normalité » : autrement dit, les comportements jugés « anormaux » au sein d’une zone surveillée par les opérateurs de drones sont considérés comme potentiellement hostiles
La surveillance par drone nous pousserait à être normal… très normal… extrêmement normal… sans pouvoir être jamais sûr de l’être suffisamment… dans l’incapacité qui est la nôtre de savoir comment il pense.
Peut-on miser sur des lendemains plus souriants?
(*) Le marché mondial des drones civils et militaires s’élevait à 4 milliards de dollars en 2015. Un rapport du Sénat estimait en 2017 qu’il atteindrait 14 milliards d’ici 2025: un institut spécialisé avance aujourd’hui le chiffre de 72 milliards en 2028.

les perspectives inquiétantes de la miniaturisation

Selon la Revue de la Défense Nationale (*)
De nouvelles menaces se font jour du fait des nouvelles possibilités offertes par la miniaturisation des systèmes et l’amélioration fulgurante de leurs fonctionnalités.
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… un nanodrone de type hélicoptère de 20 grammes, équipé de caméras vidéos et infrarouges, est capable de voler 25 minutes. Il s’agit là d’un remarquable début. Pour le moment, ces nanodrones ne sont pas armés, mais l’Armée de l’air américaine ne cache pas son intention de doter ces systèmes d’une charge militaire capable d’exploser au visage d’un combattant ennemi. Leur petite taille permet en effet d’envisager d’investir un bâtiment à travers un soupirail ou une ouverture réduite, voire des conduites souterraines, de sorte que les personnels retranchés à l’intérieur d’un bâtiment deviendront très vulnérables.
La miniaturisation induit également une baisse des prix.
(*) Le « Black Hornet » est un microdrone de reconnaissance, ressemblant à un hélicoptère, mais il ne mesure que 10 cm et pèse 30 g. Les Américains le vendent 40 000 euros, mais les Chinois viennent d’en mettre une version inspirée sur le marché à 130 dollars ! Pour ce prix, il ne pèse que 20 g de plus que l’original, est à peine plus grand, et offre presque les mêmes performances… La baisse des prix des drones et robots civils va produire une forte dissémination dans tous les domaines d’activités.
D’où de nouvelles incertitudes: le drone qui nous prendra pour cible pourra être au service… d’un peu n’importe qui… avec pour objectif… un peu n’importe quoi.

de la miniaturisation au vol en essaim

(*) Certaines attaques dites « en essaim », qui consistent à envoyer plusieurs dizaines –voire plusieurs centaines– de drones dans de multiples directions, sont quasiment imparables. Au-delà de trente drones, il devient compliqué de se défendre.
(*) La société Intel vient de réaliser le record de drones opérés par une seule station sol (1200 drones coordonnés en décembre 2017 à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang), les ballets aériens de drones se généralisent …/… Seuls des drones de petite taille permettent d’envisager de telles cohortes.

surveiller et punir

Les deux mots-clés de Foucault pour explorer son histoire de la prison prennent ici une résonnance particulière. La prison devient l’environnement lui-même. Elle ne s’encombre plus ni de murs, ni de justice, ni de droit, ni de jugement.
(*) Les futurs systèmes de drones seront plus compacts, plus nombreux, bon marché – voire jetables pour certains, déployables en essaims, plus intelligents et adaptatifs, à la fois individuellement et collectivement, plus endurants et discrets et surtout plus envahissants grâce à leur capacité de s’insinuer dans des environnements complexes tels que des faux plafonds, conduites d’aération, égouts, etc.
La peur est liée à une indétermination. Il y a peur quand on n’est pas en mesure de délimiter la réalité, la nature ou l’impact d’une menace qu’on pense avoir identifiée. La peur est anticipation et extrapolation, et ce, même pour les agressions déjà vécues, mais amplifiées par l’imagination. L’imaginaire est omniprésent dans la peur: il meuble l’indétermination, il pilote les extrapolations.
Le drone – dont on ignore ce qu’il cherche et ce qu’il détecte – qui peut devenir multiple ou invisible – tout en étant tueur – multiplie les indéterminations… donc les peurs.
(*) Une réaction courante et naturelle face à la peur consiste en un désir puissant d’éviter ou de fuir la situation qui en est à l’origine.

Mais peut-on… et surtout pourra-t-on… fuir un drone?


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