Réduit à une simple réplique de son modèle, l’humain de synthèse aurait peu d’intérêt. Dans le cas contraire a-t-il vocation à être un maître ou un esclave?
Autour de
cette question et d’utopies en dystopies, tout un imaginaire de la domination a ainsi jalonné l’histoire du robot, qui se confond avec celle de la futurologie. Car si le mot ne date que de cent ans (
très exactement), le concept nous vient de bien plus loin. Quatre siècles avant notre ère, Aristote l’évoquait déjà dans “
Le Politique”:
Si chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu’on va lui demander, d’accomplir le travail qui lui est propre …/… si, de la même manière, les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare, alors ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves.
Que signifierait alors sa disparition?
Ce qui est extrêmement paradoxal pour une icône du futur aussi stable que “le robot”, c’est que celui-ci n’a jamais véritablement incarné “le progrès”. Il s’est toujours présenté comme étant “en marge” ou “au delà” de celui-ci, exception faite de l’utopie consistant à libérer l’homme du travail… qui, en outre, a cessé d’en être une, quand elle a pris le nom de chômage… ce qui fut le cas dès l’avènement des premières machines industrielles. Est-ce de cette maladie que le robot est en train de mourir?
l’approche par la théorie des prototypes: la première mort du robot
Lorsqu’il catégorise un objet ou une expérience du quotidien, l’être humain s’appuie moins sur des définitions abstraites des catégories que sur une comparaison entre l’objet en question et ce qu’il juge être le meilleur représentant d’une catégorie
Ce “meilleur représentant” de la catégorie (les meubles, les oiseaux…), baptisé prototype, est susceptible de changer, ce qui permet de donner corps à une lecture de l’évolution.
Dans la catégorie qui nous occupe, il semble acquis que l’humanoïde a glissé hors champ. C’est désormais l’intelligence artificielle qui occupe le centre de la scène et qui pilote les utopies et les dystopies dans ce domaine. La forme dans laquelle est peut s’inscrire n’a plus d’importance.
le concept de “fonction”: la seconde mort du robot
Aujourd’hui, tout ce qui se conçoit, se produit, se vend, s’achète est pensé au travers des “fonctions d’usage” et de leurs arborescences de fonctions dérivées.
Le robot “traditionnel”, c’est le contraire. Il n’a pas de fonction pour origine. Il n’est pas “décomposable”. Sa forme n’est pas obtenue par une recomposition d’éléments fonctionnels.
Ainsi, lorsqu’il est devenu capable d’accomplir des tâches concrètes, il a perdu sa “forme humaine” pour se doter d’une morphologie adaptée à sa fonction. Le robot s’est déshumanisé pour redevenir “machine”.
Les robots-machines les plus aboutis se dotent d’un nom spécifique (véhicule autonome, drone, nanorobot, chatbot…). “Robot” étant devenu un “terme enveloppe” aux contours incertains, il a fallu réhabiliter le mot d’androïde, pour évoquer le robot originel.
Ce retour à la fonction s’analyse aussi comme une reprise en main de l’idéologie dominante par l’économie. Au concept technologique de “possible”, s’est substitué le concept économique de “profitable”. Ce qui implique, d’ores et déjà, que ce qui est – ou sera – effectivement réalisé ne correspondra qu’à une petite partie de ce qui est – ou sera – réalisable, mais que d’énormes moyens y sont consacrés, car ce qui est “le plus rentable” à un moment donné… tout le monde veut le vendre à tout le monde… du smartphone au vaccin. Sous la dictature de l’économie, l’univers des possibles va générer de plus en plus de “déchets conceptuels”.
une autre futurologie convergente: la troisième mort du robot
Qui voit l’Histoire comme une marche en avant ayant un sens a besoin d’un horizon… d’un point de fuite. Le robot semblait bien armé pour “incarner quelque chose” à ce niveau. L’humain artificiel pouvait facilement s’assimiler à un stade ultime. On y trouvait une “perfection” héritée du monde religieux, réplique de “l’oeuvre du Créateur”, ainsi qu’une production du “génie humain” par le canal de la technologie. Si dystopique qu’elle puisse parfois paraitre, la futurologie convergente du robot orientée vers une créature concentrant la totalité du pouvoir de la force et de l’esprit avait une dimension positive. Elle est supplantée désormais par une autre futurologie convergente qui n’a pour seule perspective qu’une autodestruction de l’humain.
Or ces deux “points de fuite” correspondent à deux imaginaires… totalement incompatibles.
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