La fragmentation de la planète est-elle compatible avec “l’idée de planète”? Est-elle conciliable avec une vision cohérente du futur?
La “planète”, sans doute née de visions d’astronautes, a été érigée en concept par la pensée écologiste. L’idée d’anthropocène se fonde sur l’activité de l’humain – de la société humaine – perçue dans sa globalité: “un peuple, une planète”… pour paraphraser un slogan de sinistre mémoire. Que resterait-il de la conscience environnementale si la planète tendait à être perçue comme morcelée et si la tendance dominante était qu’elle le soit de plus en plus?
la fragmentation par le haut
Tout commence par la fragmentation politique. Le nombre de pays dans le monde a explosé. Selon les Nations Unies
(*) Un pays se définit comme un espace à l’intérieur duquel s’appliquent des lois spécifiques. Deux cents pays, c’est deux cents façons de « dire le Droit » et de le faire appliquer.
On en trouvera ici le détail , sachant que d’autres approches pourraient augmenter ce nombre au-delà de 300. Quant au cloisonnement physique:
Le nombre de murs a augmenté régulièrement depuis 1989, avec des hausses notables en 2005 et 2015. Quatorze murs ont été construits rien qu’en 2015. En 2018, il y avait 63 murs physiques dans le monde …/… 6 personnes sur dix dans le monde vivent dans un pays qui a construit l’un de ces murs à ses frontières.
On se référera à la source pour agrandir l’image.
.
Historiquement, la clôture des territoires a été un serpent de mer, en tout temps et en tout lieu…
… mais on aurait pu penser que la mondialisation des échanges aurait signé l’extinction de ce phénomène. Or, tout indique que l’idéologie de la clôture progresse de concert avec celle du libre-échange, les mêmes marques de smartphones se retrouvant de part et d’autre des murs. Une hypothèse d’explication avait été proposée dans un précédent billet:
L’idéologie identitaire, qui se fonde sur l’antimondialisation et qui prône un pouvoir politique fort, travaille finalement, à l’affaiblissement politique par émiettement et, par là, aux intérêts des multinationales… donc à l’affaiblissement de l’identité de départ. Rien n’est finalement plus bénéfique à la mondialisation que l’idéologie identitaire… celle qui nous a fait passer de 72 à 197 pays… en attendant mieux.
l’idéologie de la clôture
L’édification d’un mur est motivée par un sentiment de faiblesse relative. C’est la protection ultime face à ce qui est ressenti comme une “meute”, une invasion qu’il n’apparaît possible ni de dissuader ni de juguler autrement. Cela passe par une manipulation idéologique visant à transformer le faible en fort. Chacun serait, en effet, prêt à admettre que le mur est inadapté pour contrôler l’infiltration de terroristes, mais beaucoup y verront un moyen de bloquer une “foule de terroristes potentiels”.
L’idéologie de la clôture, celle qui voit le “bon” dedans et le “mal” partout ailleurs, n’a jamais été aussi copieusement alimentée en “meute” de toute nature: terrorisme, migrations, virus…etc…
la fragmentation par le bas
Mais un gouvernement ne construit pas un mur “contre” son opinion publique, bien au contraire. Le sentiment de faiblesse relative doit être compris également comme une agrégation de ressentis individuels. Ce qui amène à considérer d’autres phénomènes qui témoignent de pulsions collectives menant vers l’entre-soi:
- Au niveau planétaire, on trouvera les ethnies, les religions
- Un niveau en-dessous, les langues régionales et les aspirations locales à l’indépendance
- Encore plus près de nous, le parler jeune, la grammaire inclusive
- les réseaux sociaux qui tendent à radicaliser le “pour” et le “contre” sur n’importe quel sujet et qui, portant les militantismes de microcauses, fabriquent quotidiennement de nouvelles “minorités”
Or, se réfugier dans l’entre-soi, c’est “commencer” à se sentir agressé… et réciproquement. Les entre-soi fonctionnent comme autant de boucles qui se consolident d’elles-mêmes très rapidement et qui, en s’accumulant, amènent à la construction… de murs… physiques ou non.
les perspectives
Peut-on s’extraire de l’idéologie de la clôture quand autant de mécanismes concourent à la renforcer? Oui, par la guerre. Celle-ci écrase les murs, les minorités et les entre-soi. Peut-on imaginer des processus doux? Peut-être les fortes croissances économiques… qui apparaissent de moins en moins probables et pour de multiples raisons.
Et la planète dans tout çà, si les volontés politiques sont atomisées, tant dans leurs contenus que dans leurs intensités et sachant que les conséquences du réchauffement ne seront pas les mêmes pour tout le monde (riches ou pauvres, inondations ou sécheresses …etc…)?
Une évidence se dessine: la planète semble vouée, dans tous les cas, à demeurer une idéologie… impuissante.
Laisser un commentaire