Cette phrase résume une très longue étude parue dans “Nature Climate Change”. Elle bénéficie donc d’une réelle caution scientifique. Du point de vue des médias, le message est exprimé de façon compréhensible par le plus grand nombre. Il s’appuie sur deux expressions numériques et une relation de causalité, celle-ci étant exprimée au conditionnel. Cette configuration en fait un archétype de la communication scientifique actuelle. On la retrouve quotidiennement dans les médias.
Certaines caractéristiques de cette phrase interpellent néanmoins et pourraient contenir les ferments de son évolution. Il en va ainsi notamment de l’extrême précision avec laquelle est formulé un risque (26% – et même 26.4% dans l’étude originelle -) alors que celui-ci est associé à des causes complexes qui devraient, semble-t-il, ne pouvoir donner lieu qu’à des approximations. Paradoxalement, cette “anomalie” est elle-même un classique de ce type de communication.
anatomie du message
Posons bien le propos. Ce n’est pas le contenu scientifique proprement dit qui va nous intéresser ici, mais le canal par lequel il nous est rendu accessible.
le paradoxe du résumé
Le résumé est le passage obligé par lequel la communication scientifique peut accéder aux médias. Or, celui-ci s’est progressivement doté d’un ensemble d’exigences très strictes.
- Le résumé doit être de plus en plus bref. En marge même des réseaux sociaux, l’accumulation des sources d’information implique qu’elles ne peuvent être prises en compte qu’au travers de leurs titres, et ce, quel que soit le support.
- Si bref qu’il soit, ce résumé se doit d’exprimer une “information”, c’est-à-dire quelque chose qui le distingue des autres messages relatifs au même domaine.
- Être à la fois bref et informatif amène l’information à prendre presque obligatoirement la forme d’une donnée numérique. Outre le fait que celle-ci fonctionne comme un “marqueur scientifique”, c’est elle qui permettra également de satisfaire aux autres impératifs médiatiques que sont renouvellements et controverses.
Les contraintes du résumé tendent ainsi à prévaloir sur la richesse du contenu.
l’analyse des expressions numériques
Les deux expressions numériques présentes dans notre phrase ne sont pas du même type: on pourrait ajouter “1” à la première, pas à la seconde. “26%” pourrait être “27%”, alors que “2050” ne pourrait pas devenir “2051”. La première est une donnée, la seconde du “simili-texte” qui signifie “vers le milieu du siècle”. Cependant, exprimée de cette manière, elle tendrait à disqualifier la valeur scientifique de l’ensemble de la phrase. Parallèlement, si 26% pourrait devenir “27%”, il perdrait beaucoup de sa valeur scientifique en devenant “25%”… qui le ferait apparaitre à son tour comme un “simili-texte” exprimant le “1/4”… donc une approximation. Une étude scientifique de haut niveau ne pourra ainsi, en aucun cas, aboutir à un chiffre de 25%.
La communication actuelle impose ainsi à tout ce qui peut l’être de s’exprimer par des chiffres, mais derrière l’apparente neutralité de ceux-ci se dissimulent des connotations essentielles sur le plan de la communication.
L’extrême précision est, en outre, d’autant plus paradoxale qu’elle est associée à l’emploi… du conditionnel.
l’emploi du conditionnel
L’emploi du conditionnel peut s’interpréter de plusieurs manières:
- sur le plan de la communication scientifique:
- il donne une image de rigueur et de modestie, supposée intégrer le calcul d’erreur, voire une confirmation attendue par des études complémentaires
- il exprime une incertitude permettant notamment de se démarquer de la communication militante… qui sera susceptible de l’exploiter
- sur le plan médiatique, l’emploi du conditionnel peut se lire comme l’anticipation de controverses, aujourd’hui systématiques sur n’importe quel sujet, ainsi que la quasi-certitude que des études du même type sur le même sujet amèneront à des chiffres différents.
Le “conditionnel” est ainsi devenu un incontournable de ce type de communication.
la relation de causalité
Le réchauffement climatique a longtemps demandé à être prouvé. Sa réalité a ainsi été démontrée au travers de ses effets. Mais, des effets qui prouvent leur cause… qui elle-même induit les effets… cela s’appelle un raisonnement circulaire, considéré comme fallacieux, et donc non recevable… au moins en l’état.
Le réchauffement climatique induit de multiples phénomènes de natures totalement différentes (de l’acidification des océans aux incendies géants) qui deviennent à leur tour les causes de certains autres… qu’on déclare, pour aller vite, comme “effets du réchauffement climatique”, en négligeant l’arborescence des causes. Au bout du compte, ceci est aussi vrai – et tout aussi futile – que d’invoquer “la nature humaine” ou le “poids de l’Histoire” comme causes des comportements sociaux. Si vain qu’il soit, ce type de raccourci est néanmoins rendu nécessaire par les exigences du résumé.
quelques hypothèses sur le futur du message
Ainsi, un message présentant toutes les apparences de la rigueur peut s’avérer à l’analyse presque dénué de sens. Que peut-il devenir?
hypothèse 01: l’épuration
Comme on vient de le voir, “2050”, “26%”, “la relation de causalité” et “l’emploi du conditionnel” fonctionnent comme autant de “parures scientifiques”. Du point de vue du “contenu net d’information” la phrase «L’évolution climatique et la croissance démographique pourraient entraîner une augmentation de 26% du risque d’inondation aux USA d’ici 2050» est quasiment équivalente à la phrase «le risque d’inondation est appelé à augmenter aux États-Unis».
Cependant, une fois dépouillé de ses atours, plus rien ne distinguerait ce message d’origine scientifique d’une banale opinion. En l’occurrence, ce phénomène est d’ores et déjà observable.
hypothèse 02: rupture du lien entre la science et les médias
Le lien entre science et médias n’a pas toujours existé. Il pourrait disparaître. D’ailleurs il existe très peu aujourd’hui dans nombre de domaines (génétique, nanotechnologie, atome, biotechnologies …). Cette tendance s’inscrirait dans une évolution communautariste fréquemment rencontrée: la science serait de retour au bercail d’une élite, le peuple, de son côté, ayant perdu confiance dans l’une et dans l’autre. La légitimité de la science serait remplacée par celle, encore plus contestable, de leaders d’opinion plus ou moins autoproclamés. Là encore un glissement déjà bien lisible aujourd’hui.
Mais il peut exister une autre lecture, ou la médiatisation de la science ne serait pas seulement une possibilité, mais aussi une nécessité. Il faut remarquer qu’elle fonctionne tout particulièrement pour l’économie, l’écologie … le suivi des épidémies… en un mot tout ce qui se rattache à un possible contrôle social… qui, dans une démocratie… demande à être accepté. Dans ce cas, en dépit de toutes ses imperfections, le lien se devra d’être maintenu d’une façon ou d’une autre.
hypothèse 03: du chiffre à l’image
Dans la relation de la science aux médias, ce sont aujourd’hui les codes de la première qui prévalent. On pourrait imaginer une domination progressive des codes des seconds focalisés autour de l’image. Les infographies font d’ailleurs partie dès aujourd’hui du vocabulaire courant des médias. L’
étude de référence sur laquelle nous nous sommes appuyés exploite elle-même largement l’image.
Mais celle-ci pourrait prendre un caractère exclusif. Elle évacuerait purement et simplement le chiffre… le conditionnel … les relations de causalité. La phrase initiale ne s’écrirait … plus du tout.
en guise de conclusion provisoire
L’habillage des messages par des “codes et exigences médiatiques” ne s’applique pas qu’à la communication scientifique. Elle y est seulement très lisible, mais on la retrouve dans tous les domaines. C’est une forme de dictature de la forme qui tend à dissimuler, partout, une crise du contenu. De ce point de vue, peu importe la façon dont la phrase-exemple s’écrira ou non dans l’avenir. Le problème le plus aigu est sans doute d’un autre ordre.
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