Notre environnement nous alimente en permanence en faits bruts. Ceux-ci constituent un bruit de fond dont ne vont émerger que ceux qui vont appeler une interprétation. Ce qui nous amène au concept de phénomène .
Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l’ordre physique que dans l’ordre psychique, et qui peut devenir l’objet d’un savoir
Mais la plupart des phénomènes perçus ne nous renseignent que sur le présent, voire le passé, et sur des faits de société, le plus souvent sans importance. Mais surtout, pour en venir à notre propos, tout phénomène n’est pas ” futurologiquement significatif ”. La question qui se trouve posée ici est ” comment le devient-il? ”
un exemple pour commencer
- Imaginons lire dans la rubrique des faits divers qu’un crocodile a été écrasé par un camion sur une route départementale. Cet évènement relève à l’évidence d’un fait de hasard qui suppose la présence d’un tel animal dans une de nos campagnes… donc une introduction sans doute illicite, puis une évasion de celui-ci… etc. C’est un fait brut, à priori sans signification et qui n’appelle aucune tentative pour en chercher une. Un de ces insolites dont raffolent les magazines.
- La répétition de l’ accident évoqué ci-dessus pourrait révéler la présence d’un élevage et par là d’une mode dans le domaine des animaux de compagnie, voire d’un retour du cuir dans les accessoires de vie courante. Toujours rien à en dire pour le futurologue.
- Supposons maintenant que ces observations aient été faites à proximité d’un centre de recherche militaire… ou d’un laboratoire spécialisé dans la génétique. Le phénomène devient immédiatement ” futurologiquement significatif ”, même en l’absence d’explications.
répétition et seuils
La répétition d’un fait constitue la première façon d’identifier un phénomène. En principe, plus un fait se répète, plus il devient ” significatif ”. En principe ” oui ”, mais… pas en futurologie.
Si sa fréquence augmente jusqu’à atteindre un second seuil, une pratique cesse de se rattacher au futur pour se rattacher… au présent. Le ” futurologiquement significatif ” suppose atteint le seuil minimum de fréquence où il apparait comme une anticipation, mais pas le second, où il est ” déclassé ” en « pratique d’aujourd’hui ». D’où l’idée ” d’allonger ” cette fourchette du ” futurologiquement significatif ” par l’identification, la plus précoce possible, des phénomènes: la recherche des fameux ” signaux faibles ”… qui malheureusement s’apparente le plus souvent à la simple mythification d’un fait brut.
autour des chaines de causalité
Associer un fait à une cause constitue l’essence même de l’interprétation. Mais une causalité n’est exploitable en futurologie que si le phénomène futurologiquement significatif… c’est elle. Le fait brut perçu alimente et renforce alors une causalité préalablement installée comme préjugé. Ce mécanisme peut se généraliser selon le principe suivant.
le ” label futurologique ”
Au-delà même des relations de causes à effets, nos préjugés collectifs amènent certains domaines de pratiques à évoquer instantanément le futur (voir ” la pensée unique en futurologie ”). Tout rattachement d’un fait brut à un de ces domaines en fait automatiquement un ” phénomène futurologiquement significatif ”. Ce fut, il y a un demi-siècle le cosmos, c’est aujourd’hui la génétique, les données personnelles, les univers virtuels… Mais, pourquoi ces domaines-là et pas certains autres comme l’informatique quantique, les nanotechnologies qui présentent pourtant un ” potentiel de futur ” largement équivalent? Certes, il s’agit de domaines d’un ésotérisme décourageant, mais la génétique n’en est-elle pas un également?
En fait, la génétique l’est, mais elle n’est pas ” que çà ”. Elle parle au plus grand nombre par des applications possibles ” compréhensibles ”: l’amélioration de l’humain, la médecine, la valorisation de l’inné, les OGM… Cette dimension semble indispensable à l’installation dans l’imaginaire collectif d’un préjugé. À l’inverse, les nanotechnologies… on ne sait pas trop à quoi les rattacher.
Ce qui serait donc présent dans le ” label futurologique ”, ce serait la capacité à faire partager collectivement, une image ou un ” usage futur ” réel, potentiel ou supposé.
du label futurologique au filtre de lecture du présent
Ce préjugé collectif ne concerne d’ailleurs pas que l’approche des tendances. On le retrouve dans la perception du présent. Un exemple: la majorité du parc de logements est aujourd’hui pavillonnaire alors que cette réalité est totalement absente de nos visions du futur.
en guise de conclusion provisoire
L’idéologie joue donc un rôle fondamental dans la prévision. Il est très difficile de faire admettre une prévision qui ne se rattache pas à un ” label futurologique ” installé ou, dit autrement, de rendre crédible un ” sens inédit ”.
Tout, dans la démarche classique, devient dès lors suspect puisqu’il est possible, sinon probable, que consciemment ou non, nous ne considérions que les phénomènes qui confortent nos préjugés (biais cognitif) (voir aussi ” comment la pensée unique actuelle va-t-elle se tromper? ”). D’où la nécessité impérative d’imaginer d’autres approches.
Laisser un commentaire