Si l’on avait opéré une synthèse de toutes les prédictions effectuées il y a un demi-siècle, une quasi-unanimité se serait dégagée autour de quelques “évidences”: le cancer ne survivrait pas au XXè siècle, des colonies humaines se seraient implantées, sinon sur d’autres planètes, mais au moins sur la Lune… etc. On pourrait accumuler les exemples de déceptions issues de nos anticipations d’hier.
Le phénomène inverse, celui du paradoxe de la prédiction qui déçoit alors qu’elle se vérifie, semble cependant beaucoup plus intéressant dans l’optique de mieux comprendre notre propre pensée du futur.
un exemple
Commençons par le plus spectaculaire de tous les rêves de l’humain: voler. Il est multimillénaire et Icare introduit tous les ouvrages sur l’histoire de l’aviation.
Mais bon, un avion… c’est bien, mais cela ne fait pas de l’homme un oiseau. Quelque part, l’accès au vol par ce moyen a quelque chose d’un peu frustrant. Mais alors, comment expliquer que ce rêve de l’homme, presque aussi vieux que l’homme lui-même, se soit finalement réalisé… dans l’indifférence générale.
Ce rêve inaccessible n’était donc finalement l’affaire que d’un bout de tissu et de quelques ficelles ?
En fait, le parapente ne pouvait être inventé que par des montagnards puisqu’il faut d’abord apprendre à tomber avant d’être capable de s’élever. L’approche technologique s’appuyait sur une logique inverse, ce qui est naturel, puisque ceux qui y travaillent habitent… dans les vallées.
un autre exemple
Éclairage un peu différent sur un autre exemple, qui concerne cette fois un futur… en attente de réalisation, mais qui devrait lui aussi décevoir.
On ne compte plus les domaines de recherche mobilisés pour le traitement de la maladie d’Alzheimer et autour d’elle de la lutte contre la perte des capacités cognitives liée au vieillissement. Rester jeune d’esprit quand on devient vieux: un autre rêve multiséculaire de l’humain. Et voilà que la réponse se profile.
Dans leur recherche, publiée dans Nature Medecine, des chercheurs de l’Université de Bonn et de l’Université de Jérusalem ont montré comment un traitement à base de faibles doses de cannabis a réussi à inverser l’état biologique du cerveau de souris de 12 et 18 mois.
Les chercheurs ont constaté que le cannabis renverse le vieillissement en rendant les cellules du cerveau plus jeunes. À cette fin, ils ont vu que les liens entre les cellules nerveuses augmentaient et leur signature moléculaire ressemblait à celle des jeunes animaux.
Ainsi, non seulement ce défi de l’éternelle jeunesse cérébrale pourrait être pris en charge à l’avenir… par un simple complément alimentaire, mais en plus
La marijuana a été utilisée à des fins médicales depuis plus de 3 000 ans.
Quand on pense à la façon dont aurait été accueilli ce résultat s’il avait été atteint par une manipulation génétique ou une greffe de matière grise…
Pourquoi ces réussites déçoivent
- Les possibles qui étayent notre vision du futur contiennent, à l’évidence, autre chose que la seule réalisation d’objectifs. Tendances et possibles se raccrochent implicitement à des progrès associés à certaines technologies et quand ces objectifs sont atteints par d’autres voies, ce qui est perçu, c’est… un progrès technologique qui n’a pas été au rendez-vous. Dans l’imaginaire du futur, le moyen par lequel on atteint l’objectif semble peser aussi lourd que la réussite elle-même. Ceci est particulièrement flagrant quand le progrès est réalisé par le recours à des principes d’hier, ou perçus comme tels. La simplicité apparente de la solution réduit la portée initialement perçue du problème. Dit autrement, si le problème admettait ce genre de solution c’est qu’il n’était pas aussi complexe qu’on le croyait. Au final… une déception.
- Un possible atteint par une tendance technologique identifée renforce l’imaginaire associé à la dite technologie. Il valide ainsi les multiples rebonds envisagés vers d’autres possibles. Il est une promesse d’autres horizons.
- Le phénomène est d’autant plus important à prendre en compte qu’il a une portée assez générale. La technologie qui ouvre un possible ne sera pas obligatoirement celle qui l’assumera lorsqu’il relèvera d’une pratique usuelle: le principe des véhicules automobiles, entrevu à partir de la machine à vapeur, est entré dans les pratiques grâce à d’autres technologies, les récepteurs de radio se sont développés en dehors du poste à galène … etc
- La prédiction de quelque chose de révolutionnaire relève de l’évènement, alors que son vécu ultérieur fera l’objet d’une accession progressive pour s’installer dans le quotidien. Quelqu’un qui monte dans son automobile pour s’en aller sur une autoroute qui va lui donner accès, via quelques bouchons, à une station de ski dotée de tout un appareillage de remontées mécaniques, n’a pas conscience de naviguer dans, ce qui était quelques décennies plus tôt, un “enchaînement impensable de pratiques différentes”. La prédiction étonne, l’usuel n’étonne plus, ce qui signifie que confronté à la prédiction… il déçoit.
en guise de conclusion provisoire
À un niveau encore plus général, tout ce qui donne lieu à un surinvestissement de l’imaginaire débouchera, au pire sur rien, au mieux sur une réalité qui en sera dépourvue. La prédiction en fait partie au même titre sans doute que le “grand projet”. On rêvera par exemple d’un métier, des images qui lui sont associées, d’une possible mission, d’un certain prestige, pour finalement devoir prendre en compte ses contraintes, son quotidien, ses routines. La pensée du futur est au futur, ce que la pensée du réel est au réel. On y retrouvera ainsi l’équivalent des “instants actifs” qui selon Bachelard nous permettent de penser le temps.
En ce sens, toute projection dans le futur va s’avérer porteuse de déception, quand le futur lui-même apportera des surprises… parfois excellentes. Ainsi, si les humanoïdes et les extraterrestres ne sont pas au rendez-vous en dépit de multiples annonces, internet est là et n’avait été prévu… par à peu près personne.
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