L’information en 3D, telle peut être la métaphore de ce qui fut la révolution de l’hypertexte: une troisième dimension que l’on aurait appliquée à un texte posé comme une surface. Cette représentation de type «pelure d’oignon» évoque au mieux cett possibilité pour chaque mot d’appeler une référence «dans l’épaisseur» et la possibilité, à partir de celle-ci de se déplacer sur une nouvelle surface… puis dans de nouvelles épaisseurs… etc. (w)
Étymologiquement, le préfixe « hyper » suivi de la base « texte » renvoie au dépassement des contraintes de la linéarité du texte écrit
Le recours à l’hypertexte relevait clairement, au moins dans l’idée de ses précurseurs, d’une logique «documentaire». L’hypertexte se voulait l’outil de l’exploration «sans limites» et «personnalisée» d’un univers «encyclopédique», grâce à un «navigateur» au nom évocateur “Explorer“, “Netscape“, “Safari“, “Konqueror“…
L’hypertexte comme révolution
En sortant de la feuille de papier, l’hypertexte appelait donc le bouleversement de l’écrit lui-même, de sa chronologie, des notions de récit, d’auteur, de lecteur et d’oeuvre… (voir)
Pour ces nouveaux avant-gardistes, l’hypertexte libérerait l’écriture des carcans linéaires du livre papier. La séquentialité, la hiérarchisation, et l’arbitraire du plan sont devenus les nouveaux ennemis de la littérature. L’hypertexte permettrait d’exprimer ce qu’il est impossible de signifier sur du papier : le hasard, le chaos, l’évanescence, la coïncidence, etc.
Les concepts prétendument obsolètes se sont avérés plus solides qu’il n’y paraissait et aujourd’hui plus personne ne voit dans l’hypertexte l’avenir de la littérature, ni même celle de la poésie, les surréalistes ayant, depuis bien longtemps, largement exploré les associations de hasard dans ce domaine.
L’hypertexte comme idéologie
Même ramené à son domaine d’excellence, l’hypertexte comportait une forte dimension idéologique appuyée sur une certaine représentation de l’information, de la connaissance et des comportements de l’individu vis-à-vis de celles-ci.
Simple question: cette image d’Epinal du navigateur de l’hypertexte avide de connaissance et perpétuellement insatisfait est-elle compatible avec les phénomènes que l’on observe aujourd’hui ?
Où est cet explorateur ouvert à toutes les découvertes dans cette représentation des réseaux sociaux, quand deux groupes ayant des opinions politiques différentes parlent de la même chose ?
Retrouvons-nous, dans ces réseaux sociaux devenus des machines à dire ce que l’on a envie d’entendre (voir « l’effet narcisse, l’extrême droite et le futur »), cet internaute curieux de tout, aux trajectoires documentaires totalement personnalisées?
Pourquoi une interview est-elle davantage suivie sur Youtube qu’au format texte et comment appréhender le futur de l’hypertexte sur internet quand on considère l’invraisemblable progression de ce site depuis sa création en 2005… et tout en gardant à l’esprit que celle-ci s’opère en parallèle avec une présence toujours aussi forte de la télévision.
Que signifie le remplacement du texte par l’audiovisuel si ce n’est la disparition de l’hypertexte?
Le clic, s’assimile progressivement à une action de télécommande vouée au zapping et a déjà perdu son statut d’indicateur d’audience: on mesure désormais celle-ci autrement.
Le véritable hypertexte, l’instrument de connaissance, celui qui « explore l’épaisseur », correspond au deuxième ou troisième clic. Moins exploité, il va devenir de moins en moins offert.
L’information a changé. Elle n’appelle plus la conquête, elle nous inonde. L’explorateur est blasé et repu. L’écrit redevient une simple surface, tout en continuant globalement à céder du terrain (voir aussi: « Raconter: le futur peut-il nous offrir mieux que le livre »).
Dans l’imaginaire de l’internet, la navigation par l’hypertexte glisse vers l’obsolescence, les réseaux sociaux s’y substituent. Beaucoup y voient l’information du XXIème siècle, mais on peut également les voir… comme cela.
Sans hypertexte, internet devient un média audiovisuel presque ordinaire, ainsi ouvert à une convergence avec… les autres médias audiovisuels.
Pour leur apporter un peu d’intelligence?… Pas sûr…
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