Connaître, c’est comprendre toute chose au mieux de nos intérêts.
Cette pensée de Nietzsche pose la connaissance en des termes qui semblent chaque jour plus actuels. Qui possède aujourd’hui la connaissance? Comment circule-t-elle? À quoi sert-elle?
A peine élu, notre nouveau président s’empressait de rendre effective une de ses promesses de campagne, à savoir le glissement du statut de recommandé à celui d’obligatoire de onze vaccins. Nous n’allons débattre ici, ni de la nécessité, ni de l’empressement suspect à mettre en œuvre cette réforme en l’absence de tout problème sanitaire majeur y référant, ni sur cette volonté de “revaloriser le vaccin”, que les mauvais esprits pourraient comprendre comme une répétition générale rôdant la méthode en vue des futures inévitables épidémies annuelles de grippe où l’accès à l’école pourrait, là aussi, être conditionné à une vaccination… mais chaque année.
Ce qui va surtout nous intéresser ici, c’est ce sur quoi se fonde l’opposition à cette injonction, c’est-à-dire l’attitude militante du refus. Sur quelles bases l’homme de la rue – autrement dit vous et moi – peut-il décider du bien-fondé d’une vaccination pour une maladie donnée? Il s’agit d’un domaine de haute technicité dont l’approche suppose des connaissances de pointe, qu’en règle générale il ne possède pas… du tout.
- L’opinion est suspecte, car fondée sur des croyances déconnectées de la connaissance scientifique
- La connaissance scientifique est suspecte pour ses liens bien trop évidents avec le profit de grandes sociétés
Nous retrouvons là les ingrédients de la confrontation multiséculaire de la connaissance et des croyances, en d’autres termes et d’autres temps, de la science et de la religion, dont on sait que les progrès de l’une provoquent – ou pour le moins provoquaient – quasi-mécaniquement l’extinction de l’autre. Deux forces antagonistes d’hier qui tendent à fusionner aujourd’hui.
Cette question proposée en référendum aux Anglais apparaissait donc, de fait, comme suffisamment simple pour que l’homme de la rue puisse y répondre par “oui” ou par “non”, au moment même où les meilleurs économistes se ridiculisaient quotidiennement en nous assénant les “évidences” les plus contradictoires sur ses conséquences présumées.
La connaissance pouvant se définir comme ce qui produit le “vrai”, se trouve ainsi posée la confrontation des deux grandes approches du vrai qui président actuellement à nos destinées:
- Le vrai des élites. Nos élites nous coûtent très cher et le montant de leurs rémunérations témoigne… de l’excellence requise par l’extrême difficulté des problèmes qu’elles ont à résoudre. A titre d’exemple, on pourra mentionner que notre actuelle ministre de la défense touchait 52000€ net par mois pour diriger la branche voyageurs de la SNCF … ce qui la suppose dix fois meilleure que ceux qui “ne touchent que” 5200€ par mois, alors même que ce tarif les suppose déjà très bons. C’est dire à quel point c’était difficile! Comment dès lors s’étonner qu’elle ait échoué à en améliorer la situation? Résumons: un problème très difficile requiert une prise en charge par une élite… et il est naturel qu’elle ne puissent pas le résoudre… puisqu’il est très difficile.
- Le vrai du citoyen-consommateur. Présumé complexe quand l’élite doit le prendre en charge, un problème redevient simple quand c’est l’individu lambda qui doit trancher. Lui n’a pas d’excuse pour se tromper, car il est clair… «qu’aujourd’hui, ce n’est pas l’information qui manque!»
Ce résumé apparait comme une approximation acceptable de l’idéologie actuelle dans ce domaine, et ce qu’il y a d’extrêmement inquiétant pour notre futur c’est le consensus qui prévaut dans cet état de fait.
- Nos élites s’inscrivent parfaitement dans la définition de la connaissance donnée par Nietzsche en introduction de ce billet. Elles s’accommodent, ma foi, très bien de cette situation où elles sont grassement rémunérées pour ne pas être tenues de résoudre quoi que ce soit. Des privilèges et des croyances communes en fondent l’unité indépendamment des domaines dans lesquelles elles opèrent… pour des résultats… que résume le journaliste et auteur américain Chris Hedges, ancien correspondant de guerre et récipiendaire du prestigieux Prix Pulitzer (cité ici ):
Nous vivons dans une nation où les médecins détruisent la vie, les avocats la justice, les universités la connaissance, la presse l’information, la religion la morale et les banques l’économie
- La revendication-reine des courants contestataires concerne l’exigence d’être informé (sur la composition des produits, sur le traitement des données personnelles…), alors que l’information n’a jamais été aussi pléthorique sur tous les sujets et que les relations de causes à effets, qui devraient en constituer la finalité, n’ont jamais semblé aussi difficiles à établir … principalement d’ailleurs à cause de cette surabondance et des multiples courants d’influence qui s’y entrecroisent. À défaut de connaissance chacun revendique donc… toujours plus d’informations, jusqu’à obtenir celles… qui conforteront ses opinions préétablies.
- Pendant ce temps, le populisme nie l’idée même de connaissance pour fonder ce qui est présenté comme un “pouvoir du peuple”, nihiliste et revanchard, dénué de toute autre perspective que celle de se forger de nouvelles chaînes destinées à n’assurer que le pouvoir de quelques-uns… mais pas les mêmes… quoique…
Cet inquiétant consensus concerne la primauté de l’idéologie sur la connaissance, soit le contraire de ce que recouvrait historiquement le terme de “Lumières” , courant qui, à son époque, avait su s’imposer à l’obscurantisme religieux.
Là où le doute devrait prévaloir, les certitudes de type religieux s’installent partout. Or la conséquence certaine d’une primauté du religieux, c’est un futur aux perspectives très sombres … aussi sombres que celles que propose une connaissance asservie aux intérêts capitalistes… ce qui n’est pas peu dire.
Mais disposons-nous encore d’alternatives quand le terme même de “connaissance” est devenu obsolète? Un nouveau “Siècle des Lumières”est-il envisageable? Quel Pierre Bayle d’aujourd’hui oserait encore écrire
Le prochain siècle sera de jour en jour plus éclairé; en comparaison tous les siècles précédents ne seront que ténèbres.
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